Par Laurent Gimalac, Ancien Professeur à l’ISEM (ESMOD Paris) et à SUP DE LUXE (Groupe EDC, Paris) et Avocat
Introduction
Le transfert de la responsabilité environnementale d'un site industriel à son acquéreur est un enjeu complexe qui mêle droit des installations classées, obligations contractuelles et exigences réglementaires. Cet article explore les conditions, les clauses envisageables pour le transfert de cette responsabilité et les limites imposées par la jurisprudence et la réglementation en vigueur.
La responsabilité de remise en état : cadre légal et jurisprudence
Cadre légal
Le Code de l’environnement français, notamment à travers l’article L. 512-17, impose à l'exploitant d'une installation classée la responsabilité de la remise en état du site au moment de la cessation définitive de ses activités. Cette responsabilité est confirmée par divers décrets et circulaires, qui précisent que l’exploitant, actuel ou ancien, est le principal responsable des mesures de dépollution.
Jurisprudence
Plusieurs décisions de justice illustrent les enjeux et les évolutions en matière de responsabilité environnementale. Notamment, l’arrêt de la Cour de cassation du 16 mars 2005 (affaire « SCAEL contre Hydro Agri France ») souligne que l'obligation de remise en état pèse sur l'exploitant et non sur le simple détenteur du terrain. Cette décision est représentative d'une tendance à renforcer le formalisme juridique en matière de transfert de responsabilité.
Transfert contractuel de la responsabilité : clauses envisageables
Clauses de garantie de passif environnemental
Pour sécuriser le transfert de responsabilité, les parties peuvent inclure des clauses spécifiques dans l'acte de vente ou le contrat de cession. Ces clauses, appelées "clauses de garantie de passif environnemental", stipulent que le vendeur s’engage à prendre en charge les coûts liés à la dépollution du site pour des pollutions antérieures à la cession.
Clauses de transfert de responsabilité
D’autres clauses peuvent prévoir le transfert total ou partiel de la responsabilité environnementale à l’acquéreur. Ces clauses doivent être rédigées avec soin pour être opposables et efficaces. Elles peuvent inclure des obligations d’audit environnemental, de notification des autorités compétentes et de mise en conformité avec les réglementations en vigueur.
Limites et risques du transfert de responsabilité
Non-opposabilité à l'administration
Il est important de noter que les accords contractuels entre parties privées ne sont pas opposables à l’administration. Ainsi, même en cas de transfert contractuel de la responsabilité, l’administration peut toujours se retourner contre l’ancien exploitant pour exiger la remise en état du site. Cette limitation est renforcée par la jurisprudence, comme le montre l’arrêt « SCAEL », où la clause de renonciation à recours a été jugée inapplicable face à une obligation de police administrative.
Clauses invalidées par la jurisprudence
Certaines clauses peuvent être jugées invalides par les tribunaux si elles contredisent des obligations légales impératives. Par exemple, une clause qui chercherait à transférer la responsabilité à un acquéreur sans l'informer des risques et des pollutions présentes sur le site pourrait être invalidée, comme illustré dans l’arrêt « Commune de Dardilly contre Anciennes Briqueteries de Limonest » (Cass. 3e civ., 12 janv. 2005).
Bonnes pratiques pour un transfert efficace
Information et transparence
Un transfert efficace de la responsabilité environnementale repose sur une information exhaustive et transparente de l’acquéreur. Le vendeur doit fournir tous les documents relatifs à l’état environnemental du site, y compris les études de sols, les rapports d’audit et les échanges avec les autorités administratives.
Audits environnementaux
La réalisation d’audits environnementaux indépendants avant la cession permet de clarifier l’état du site et d’évaluer les risques. Ces audits sont essentiels pour négocier les termes du contrat et les ajustements de prix en fonction du passif environnemental identifié.
Clauses contractuelles détaillées
Les contrats doivent contenir des clauses détaillées et spécifiques sur la répartition des responsabilités. Elles peuvent prévoir des mécanismes de remboursement des frais de dépollution, des obligations de notification en cas de découverte de pollution et des modalités de résolution des litiges.
Conclusion
Le transfert de la responsabilité environnementale d’un site industriel à son acquéreur est possible mais encadré par un formalisme juridique strict. Les parties doivent être vigilantes dans la rédaction des clauses contractuelles et veiller à respecter les obligations légales pour éviter tout contentieux ultérieur. L’information complète et transparente de l’acquéreur, couplée à des audits environnementaux rigoureux, constitue la meilleure garantie pour un transfert de responsabilité serein et sécurisé.
Me Laurent Gimalac, Docteur en droit, ancien chargé de cours à l’Université,
Avocat spécialiste.