Les pièges du recours gracieux : comment le rédiger correctement.


Par Laurent GIMALAC, Docteur en droit, Lauréat et Avocat spécialiste en droit de l’environnement.



Introduction :

Le recours administratif gracieux, instrument essentiel de la relation entre l'administration et les administrés en matière d'urbanisme, offre une opportunité de résolution amiable des différends. Cependant, sa mise en œuvre requiert une attention particulière afin d'éviter certains écueils. Si, d'une part, ce recours présente l'avantage de permettre une révision de la décision sans l'engagement d'une procédure judiciaire coûteuse et complexe, d'autre part, il est essentiel de veiller au respect scrupuleux des formalités, notamment en matière de délais et de compétence de l'autorité saisie. La méconnaissance de ces règles peut entraîner l'irrecevabilité du recours et compromettre l'accès ultérieur au juge administratif, rendant ainsi primordial une approche rigoureuse et informée dans l'exercice de ce droit.


I - Souplesse et avantages du recours gracieux


Le recours administratif gracieux se caractérise par une certaine souplesse formelle. Contrairement aux recours judiciaires, il n'exige pas de formalités strictes quant à sa présentation, offrant ainsi aux administrés une plus grande latitude dans leur approche. Cette flexibilité se manifeste notamment par la possibilité d'effectuer un recours de manière écrite, verbale, ou même par télécopie. Cependant, une exigence demeure invariable : l'usage du français (CE 5 janv. 2000, Cne de Macot-la-Plagne, req. no 170954 : Cette décision souligne l'obligation de former le recours administratif en français et la nécessité pour le requérant d'apporter la preuve d'un recours verbal​). Cette règle, ancrée dans la législation, vise à garantir la clarté, l'accessibilité et l'uniformité de la communication avec l'administration, et sa transgression peut conduire à l'irrecevabilité du recours.

Pour apporter la preuve d'un recours administratif formulé verbalement, il est conseillé d'obtenir un accusé de réception de la part de l'administration. Cela peut se faire en demandant à l'agent administratif qui reçoit le recours de rédiger un compte-rendu ou un procès-verbal de la démarche, qui sera ensuite signé par les deux parties. Cette pratique permet de consigner de manière officielle la date, le contenu et les parties impliquées dans le recours, assurant ainsi une traçabilité et une preuve formelle de la démarche entreprise.

Le recours administratif peut être rédigé soit par le requérant lui-même, soit par un mandataire désigné par ce dernier (CE 12 juill. 2017, Cne d'Ajaccio, req. no 401461 : cette décision aborde le recours formé par un tiers et la liberté de désigner un mandataire pour le recours administratif​). Le mandataire peut être un avocat, un membre de la famille, un ami, ou toute autre personne de confiance. Il est important de noter que le mandat doit être clair et explicite, idéalement par écrit, bien qu'un mandat verbal soit également recevable. Ce mandataire agit alors en représentation du requérant et doit veiller à respecter les mêmes règles de forme et de fond que si le recours était rédigé par le requérant lui-même (CE 30 juill. 2003, req. no 242757 : Selon cette décision, le mandat pour présenter un recours administratif peut être verbal, à condition qu'il soit exprès​).


II - Effet interruptif sur les délais


En droit administratif français, le recours gracieux n’a pas un effet suspensif mais un effet interruptif. Cela signifie que le dépôt d'un recours administratif gracieux interrompt les délais de recours contentieux. Ainsi, si l'administration répond au recours, un nouveau délai de recours contentieux commence à courir à compter de la notification de la décision. En cas d'absence de réponse, le délai de recours contentieux recommence à courir à l'expiration du délai de deux mois à compter de la demande, période au terme de laquelle le silence de l'administration vaut décision de rejet.

En France, lorsqu'une administration est saisie d'un recours gracieux, elle n'est pas légalement tenue de délivrer un accusé de réception. Toutefois, la pratique administrative tend à favoriser l'envoi d'un accusé de réception pour informer le requérant de la bonne réception de son recours. Cet accusé de réception peut être important pour le requérant, car il fournit une preuve de la date à laquelle le recours a été effectivement reçu par l'administration, ce qui est essentiel pour le calcul des délais de recours contentieux.


III - Les pièges du recours gracieux


1. Le choix du destinataire d'un recours administratif gracieux est crucial pour sa validité. Il est impératif d'adresser le recours à l'autorité qui a pris la décision contestée ou à son supérieur hiérarchique. Une erreur de destinataire peut entraîner l'irrecevabilité du recours contentieux ultérieur, car elle pourrait être interprétée comme une absence de recours administratif préalable obligatoire. Il est donc essentiel de bien identifier l'autorité compétente, ce qui peut parfois nécessiter des recherches préalables, notamment dans des structures administratives complexes ou pour des décisions impliquant plusieurs niveaux hiérarchiques (CE 1er juill. 2005, Ville de Nice : Selon cette décision, un recours administratif formé devant une autorité incompétente non tenue par l'obligation de transmission ne conserve pas le délai de recours contentieux​).


2. Le calcul des délais pour les recours administratifs gracieux dépend de la nature de la décision contestée. Généralement, le délai pour introduire un recours gracieux est de deux mois à compter de la notification ou de la publication de la décision. Lorsqu'un recours gracieux est déposé dans ce délai, il interrompt le délai de recours contentieux. Après la réponse de l'administration, un nouveau délai de deux mois pour saisir le juge administratif commence à courir. Si l'administration ne répond pas, le silence gardé pendant deux mois équivaut à un rejet, et le délai de recours contentieux redémarre à partir de la fin de ces deux mois. Vosyez toutefois CE 27 nov. 2000, Toussaint, req. no 207896 : cette jurisprudence indique que si les voies et délais de recours n'ont pas été portés à la connaissance du justiciable, le recours administratif peut être formé à tout moment mais au plus tard avant l'expiration du délai « raisonnable » retenu par la jurisprudence Czabaj


3. La notification du recours au pétitionnaire, dans certains cas spécifiques comme en matière d'urbanisme, est une étape cruciale. Elle implique que le requérant doit informer les tiers concernés par la décision administrative de son recours gracieux. Cette notification est essentielle car, en son absence, le recours contentieux ultérieur pourrait être déclaré irrecevable. Cette règle vise à garantir que tous les parties intéressées sont dûment informées et ont la possibilité de défendre leurs intérêts. Il convient donc de veiller scrupuleusement à respecter cette obligation de notification pour éviter le piège de l’irrecevabilité. Pour prouver l'envoi de la notification du recours au pétitionnaire, il est recommandé d'utiliser des moyens qui offrent une preuve tangible de l'envoi et de la réception.



Conclusion : En conclusion, le recours administratif gracieux se présente comme une alternative plus souple et moins onéreuse au recours contentieux. Il offre aux administrés la possibilité de résoudre des litiges avec l'administration de manière amiable et moins formaliste. Cependant, cette souplesse ne doit pas masquer l'existence de règles spécifiques et de pièges potentiels. La maîtrise de ces règles, qu'il s'agisse du respect des délais, du choix correct du destinataire, de la nécessité de notification dans certains cas, ou encore de la preuve en cas de recours verbal, est essentielle pour éviter des erreurs susceptibles de mener à l'irrecevabilité du recours contentieux. Ainsi, bien que plus accessible, le recours gracieux exige une connaissance approfondie et une attention particulière aux détails procéduraux pour être utilisé efficacement et éviter les pièges qui pourraient compromettre le droit de l’administré.


Il est important de souligner que, dans de nombreux cas, l'administration ne modifie pas sa position initiale suite à un recours gracieux. Cependant, l'un des avantages majeurs de ce type de recours réside dans le fait qu'il permet de gagner du temps pour la préparation d'un recours contentieux. En interrompant le délai de recours contentieux, le recours gracieux offre au requérant une période supplémentaire pour analyser la décision, consulter des experts, et élaborer une stratégie juridique solide si un recours devant le juge administratif devient nécessaire. Cette opportunité de prolonger le délai pour engager une action contentieuse peut être cruciale, surtout dans des domaines complexes tels que l'urbanisme ou le droit de l'environnement, où l'analyse approfondie et l'assistance d'experts peuvent s'avérer déterminantes.




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