Glissements de terrain :  analyse juridique d’un phénomène complexe ayant des effets combinés en matière administrative et civile.


Par Laurent GIMALAC, Docteur en droit, Lauréat et Avocat spécialiste en droit de l’environnement.




Un glissement de terrain qui est lié à un événement naturel par exemple des inondations, des pluies diluviennes, peut avoir des conséquences sur plusieurs différents plans.


Si la construction est située à l’aplomb d’une autre propriété, il va falloir gérer des recours juridique des tiers, et prévoir la (re)construction de murs de soutènement. Il sera également nécessaire d’envisager de possibles recours en responsabilité contre le constructeur, l’architecte etc.


1/ Les rapports de droit privé :


1.1. Rapports avec le voisinage : 


Il est bien évident qu’un glissement de terrain qui entraîne un éboulement sur le terrain voisin, peut générer une responsabilité civile.


Le voisin dispose d’un arsenal juridique comme par exemple la théorie prétorienne des troubles anormaux du voisinage, qui repose sur l’article 1382 anciens du Code civil devenu l’article 1240.


Sur le fondement des troubles anormaux du voisinage, il va demander la réparation intégrale c’est-à-dire la remise en état dus site et une réparation de son préjudice de jouissance.


Si sa propriété est en cours de vente, il pourra même demander le remboursement de la perte de valeur vénale de son bien.


L’évaluation du préjudice devra passer par l’intervention d’un expert judiciaire qui au contradictoire, va établir un pré-rapport du rapport définitif. Il ne doit pas être confondu avec l’expert de l’assurance qui va intervenir au titre de l’assurance de biens. En effet il doit être désigné par le juge des référés c’est-à-dire une instance indépendante, de l’assurance.


L’effondrement peut concerner un mur de soutènement et dans ce cas, le responsable est le propriétaire du mur qui est souvent le fonds supérieur.


L’éboulement peut aussi encombrer un chemin d’accès et le rendre difficilement praticable. 


Dans ce cas le règlement des litiges peut entraîner l’application de règles plus complexes. Tout va dépendre de ce qui est prévu dans la convention de servitude d’accès. S’il est inscrit que les grosses réparations sont à frais commun, il faudra partager les frais entre les différents titulaires de la servitude ainsi que le fonds servant. Mais dans certains cas, c’est le propriétaire du fonds servant qui seul devra réparer les dégâts. Ce qui peut paraître éminemment injuste mais tout va dépendre bien évidemment de ce qui était convenu dans la convention de servitude. Ces réparations peuvent entraîner des dépenses considérables lors de plusieurs dizaines de milliers d’euros.


Il est donc essentiel, bien connaître le régime juridique de votre mur de soutènement ainsi que de la voie d’accès à votre propriété.


1.2. Rapports avec le constructeur :


Si l’immeuble est encore couvert par l’une des garanties légales ou contractuelles (décennale par exemple…), il sera possible d’engager la responsabilité du constructeur.


En effet, le glissement de terrain n’est pas un événement totalement imprévisible. C’est ainsi que l’a jugé la cour de cassation (Cour de cassation chambre civile 3 Audience publique du mercredi 20 novembre 2013 N° de pourvoi: 12-27.876). Elle a annulé l’arrêt de la cour d’appel de Fort de France au motif que « en déclarant, pour estimer que ce glissement de terrain était un événement constitutif d'une cause étrangère, qu'il n'aurait pas pu être détecté par une « étude de sol classique », et qu'il avait été d'une ampleur « telle qu'il avait revêtu les caractéristiques d'irrésistibilité et d'imprévisibilité caractérisant la cause étrangère ou la force majeure », la cour d'appel, qui constatait pourtant, que les dommages provenaient d'un vice du sol, et que la forte pluviométrie largement à l'origine du glissement de terrain n'était pas un événement imprévisible à la Martinique, n'a pas tiré de ses constatations les conséquences légales s'en évinçant, et a violé l'article 1792 du code civil ».


Ainsi les constructeurs restent responsables de plein droit envers le maître de l'ouvrage des dommages, même résultant d'un vice du sol.


2/ Les rapports relevant du droit administratif avec les collectivités locales 


2.1. L’autorisation d’un nouvel ouvrage ou d’un ouvrage en remplacement 


Il sera sans doute nécessaire de demander auprès de la commune un permis de construire ou une déclaration préalable pour effectuer les travaux de réparation. Mais entre-temps, les règles urbanisme ont pu changer, et créer des contraintes qui n’existait pas auparavant. On peut même imaginer que la construction à l’identique est impossible compte-tenu de l’évolution du plan local d’urbanisme.

Si le permis de construire est refusé, il serait peut-être nécessaire de faire appel à un avocat pour établir un recours gracieux puis un recours contentieux devant le tribunal administratif. En effet et sans l’autorisation de reconstruire, la situation préjudiciable voisin peut s’étaler dans le temps et constituer une véritable épine dans le pied.


2.2. Les recours contre les dégâts causés par un ouvrage public et la possibilité d’une responsabilité partagée


Si l’origine du sinistre est un ouvrage public, une action en responsabilité contre le maître d’ouvrage public pourra être envisagée.


Ainsi par exemple par jugement en date du 20 décembre 2010, le tribunal administratif de Fort-de-France a déclaré la commune entièrement responsable des conséquences dommageables dudit glissement de terrain et l'a condamnée à verser à Mme X une somme de 32 177,76 euros.


La responsabilité de la personne publique pourra être cependant atténuée si le propriétaire a aggravé de son chef le risque.


C’est ainsi que la juridiction administrative a décidé de réduire les indemnités allouées au propriétaire dans cette même affaire :


« il résulte de l’instruction que l'étendue des dommages a été aggravée par les importants travaux de terrassement réalisés lors de la construction de la maison de Mme X qui ont, en entaillant le flanc de la colline, compromis la stabilité du terrain dans un endroit à risque, ainsi que par l'absence de mur de soutènement malgré l'importance du dénivelé accentué par la disparition des pentes d'équilibre naturelles du talus lors des travaux de construction ; que, dans ces conditions, les dommages imputables au mauvais fonctionnement de l'ouvrage public ont été aggravés par des manquements imputables à Mme X ; que la COMMUNE DU LAMENTIN est dès lors, fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Fort-de-France, par le jugement attaqué, l'a reconnue entièrement responsable des dommages subis par Mme X ; qu'il sera fait une juste appréciation des responsabilités encourues en condamnant la COMMUNE DU LAMENTIN à réparer la moitié des conséquences dommageables du sinistre pour Mme X » (Cour administrative d'appel de Bordeaux N° 11BX00567).


En conclusion, la multiplications des glissements de terrain dans les régions à risque à al suite de pluies diluviennes génère un contentieux complexe à multiples facettes. Tant le droit privé que le droit public peuvent être à contribution pour rechercher le véritable responsable voire une série de responsables qui constituent une véritable chaine de responsabilité envers la victime.





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