Disparition d’une servitude, perpétuité ou prescription trentenaire ?

Par Laurent GIMALAC, Avocat spécialiste et docteur en droit.


La prescription est soit acquisitive soit extinctive.

Elle sera acquisitive quand elle confère un droit nouveau : c’est le cas par exemple de l’acquisition d’un droit de servitude au terme d’un délai de trente ans. Mais le code civil limite singulièrement cette possibilité en rappelant dans son article 691 que : 

« les servitudes continues non apparentes, et les servitudes discontinues apparentes ou non apparentes, ne peuvent s’établir que par titres. La possession même immémoriale ne suffit pas pour les établir, sans cependant qu’on puisse attaquer aujourd’hui les servitudes de cette nature déjà acquises par la possession, dans les pays où elles pouvaient s’acquérir de cette manière ».

Il ne peut donc y avoir d’acquisition d’une servitude discontinue qui a besoin du fait de l’homme même au bout de trente ans.


La prescription peut aussi avoir pour effet d’éteindre un droit par son non usage. Mais qu’en est-il en matière de servitude ? Peut-on  considérer que la servitude de passage a disparu du seul fait de son non usage pendant plus de trente ans ? Ou doit-on considérer que la servitude est perpétuelle ce qui nous contraint à négocier avec le propriétaire du fonds dominant pour l’abroger par un nouveau acte authentique ?


La réponse va dépendre de plusieurs facteurs.


1°/


Ainsi la jurisprudence reconnaît la possibilité d’une première cause d’extinction en cas de servitude de désenclavement qui perd son objet : la propriétaire du fonds dominant n’en a plus besoin parce qu’il a obtenu un passage plus aisé qui est suffisant par exemple.

Il a été jugé par exemple par la Cour d’appel de Toulouse :

Aux termes de l'art. 685-1 du même code , en cas de cessation de l'enclave et quelle que soit la manière dont l'assiette et le mode de la servitude ont été déterminés, le propriétaire du fonds servant peut, à tout moment, invoquer l'extinction de la servitude si la desserte du fonds dominant est assurée dans les conditions de l'art. 682.

À défaut d’accord amiable, cette disparition est constatée par une décision de justice 

(Cour d'appel de Toulouse, Ch. 1, sect. 1, 20 janv. 2014, RG N° 12/05329).

Mais cela suppose bien évidemment qu’un second accès existe et que la servitude ait eu pour seul fonction de désenclaver le fonds dominant. Ainsi, si la servitude conventionnelle avait un autre but, elle ne disparaîtra pas du fait du désenclavement par un autre accès. Et si le second accès existait déjà au moment de la création de la servitude conventionnelle, celle-ci ne disparaitra pas…


2°/


L’impossibilité d’exercer son droit de passage peut également constituer une cause d’extinction.

La cour de cassation avait ainsi jugé en 1996 :


« Justifie légalement sa décision, la cour d’appel qui, ayant souverainement retenu que la configuration des lieux du fait de la création d'un trottoir sur le fonds dominant rendait impossible l'usage d'un droit de passage, a pu en déduire l'extinction de la servitude conventionnelle." (Cass. 3e civ., 3 avr. 1996 ; Mme Benois c/ Épx Manson (pourvoi n° 94-15.350).


Cette solution n’est guère surprenante dans la mesure où l’article 703 du Code civil dispose bien que :

« Les servitudes cessent lorsque les choses se trouvent en tel état qu'on ne peut plus en user."


3°/


En dehors de ces cas de figure, les causes d’extinction des servitudes sont communes aux contrats en général : par exemple, l’annulation, la résolution, la condition résolutoire, l’arrivée du terme d’extinction convenu par les parties.

Autant dire, que seule une solution négociée avec le propriétaire du fonds dominant permettra le cas échéant de sortir d’une lourde charge si une solution alternative est possible. A cette fin, votre avocat peut rédiger un protocole d’accord ou une promesse qui sera ensuite réitérée chez le notaire qui procédera aux formalités de publicité foncière.

Si l’extinction de la servitude est constatée par un jugement, la décision du juge vaudra titre authentique mais il sera conseillé de la publier pour la rendre opposable aux tiers.


Me Laurent Gimalac, Docteur en droit privé,

Avocat spécialiste en droit de l’environnement.

© Cabinet de Me Gimalac Avocat - Paris, Cannes Riviera et Grasse - 2017