Extension d’un aéroport et recours des tiers : l’importance de la problématique environnementale.

Par Me Laurent GIMALAC, Docteur en droit et Avocat spécialiste en droit de l'environnement. 


Qu’il s’agisse du projet d’extension de l’aéroport de Roissy (nouveau terminal) ou de celui de Nice, les riverains sont toujours sensibles à des projets qui peuvent gâcher leur qualité de vie sans qu’ils aient le sentiment d’avoir été convenablement consultés sur les impacts de telles infrastructures sur leurs environnement proche ou lointain.


La crainte de nuisances supplémentaires et leur impact sur la santé.

Parmi les griefs les plus souvent énoncés, on trouve notamment les nuisances sonores, dues à une augmentation prévisible du trafic. 

Pour l’aéroport de Roissy, on constate ainsi que les habitants des communes Stains, que Pierrefitte et Villetaneuse, sont à la fois situées dans le couloir aérien de l’aéroport de Roissy et celui du Bourget sont particulièrement touchées. Un maire a même évoqué la diminution probable de la durée de vie des personnes en se fondant sur une étude de Bruitparif (sur l’impact du bruit sur la santé) qui a démontré que le trafic aérien avait un impact sur 30 % de la population de la ville. Bien évidemment, les nuisances ont également un impact financier sur la valeur des propriétés affectées par le bruit et la pollution.

L’Autorité environnementale qui est obligatoirement saisie suggère même de réaliser « des campagnes de mesures pour les zones habitées les plus proches, notamment à l’est de la plateforme (au Mesnil-Amelot et à Mauregard), compte tenu de l’implantation envisagée du terminal. » L’autorité souhaite par ailleurs que le « volet trafic » du dossier conduise à identifier les axes routiers « sur lesquels le projet devrait induire une modification de plus de 10 % du trafic, ainsi que les situations de saturation qu’il est susceptible d’engendrer. »

Mais la nouveauté réside dans le fait que les associations de défense des riverains invoquent également incidence de ces infrastructures sur le climat en favorisant un mode de déplacement qui reste polluant en émettant des gaz à effet de serre.

Les mêmes problèmes seront certainement invoqués pour le projet d’extension de l’aéroport de Nice qui a fait l’objet d’une enquête publique du lundi 4 novembre au lundi 25 novembre 2019. Bon nombre d’habitants ont en effet marqué leur désapprobation, et ont demandé qu’on privilégie le transport ferroviaire.

La France n’est pas la seule touchée par cette problématique puisqu’on a appris qu’en mars 2019, le Maire de Londres avait déposé une plainte contre l’extension de l’aéroport de Heathrow : « la troisième piste d’aéroport ne peut être construite qu’en détruisant des milliers de maisons et en rendant la vie plus bruyante et moins saine pour des millions de Londoniens et d'habitants des comtés environnants", selon les plaignants. 


Les moyens d’ordre juridique et environnemental :


Plusieurs pistes ont le mérite d’être explorées :


- l’existence ou non d’une carte de bruit (La directive européenne du 25 juin 2002 impose aux Etats d’élaborer des cartes et des plans de prévention du bruit dans l’environnement (PPBE), notamment autour des grands aéroports (plus de 50 000 mouvements par an),

- la saisine de la CNDP pour les infrastructures situées sur le littoral (mais au terme du décret n° 2002-275 du 22 octobre 2002, la CNDP ne peut être saisie qu’à condition que le coût des bâtiments et infrastructures des équipements industriels soit supérieur à 150 millions d’euros, le seuil de 300 millions conduisant à une saisine obligatoire). Précisons toutefois qu’une décision du Conseil d’État du 28 décembre 2005 précise que ce n’est pas le coût total du projet qu'il faut prendre en compte, mais uniquement le coût des bâtiments et infrastructures.

- l’absence d’une évaluation sérieuse du coût du projet dans sa globalité,

- l’avis de la Commission Départementale compétente en matière de nature et de paysage : Code de l’environnement ( Voir Article R341-16 du Code de l'environnement),

- l’examen du sérieux de l’étude d’impact, notamment en qui concerne l’impact environnemental,

- l’intégration de la problématique de l’élimination-évacuation des déchets et des déchets dangereux ou des rejets d’eaux usées,

- les moyens d’action contre le bruit généré par le trafic,

- l’extension prévue sur une zone inondable ou qui risque de le devenir à brève échéance,

- l’augmentation des gaz à effet de serre, ainsi que des particules fines et autre polluants aériens,

- les effets induits sur la circulation routière, et donc sur la pollution de l’air,

- les mesures d’évitement, de réduction et de compensation proposées par le maître d’ouvrage dans l’étude d’impact. La réalisation de l’étude d’impact, dont le contenu est renforcé (article R. 122-5 du code de l’environnement)

- la présence à proximité d’une zone protégée comme par exemple une zone NATURA 2000,

- la présence de risques naturels importants (incendie, inondation, tremblements de terre…)


Pour éviter que l’impact du projet ne soit dilué dans toute une série de décisions partielles, l’article L. 122-1-1 du code de l’environnement impose que les incidences sur l’environnement du projet sont appréciées, en cas de pluralité d’autorisations, lors de la délivrance de la première autorisation.


Les incidences de la réforme de 2016.


L’ordonnance du 3 août 2016 et son décret d’application du 11 août 2016 ont transposé la directive 2014/52/UE1 du 16 avril 2014.


Il est à noter que désormais la description du projet doit être la plus exhaustive possible, l’étude d’impact davantage ciblée sur les enjeux identifiés a priori « en fonction des caractéristiques spécifiques du projet et du type d’incidences sur l’environnement qu’il est susceptible de produire ».


Il est même fait clairement référence au changement climatique  puisqu’il est prévu la prise en compte des incidences du projet sur le climat et de sa vulnérabilité au changement climatique.


Autre apport important : l’étude d’impact doit, le cas échéant, analyser l’impact du cumul des incidences du projet avec d’autres projets tels que définis au 5° e) du II de l’article R. 122-5 au titre des effets cumulés.


Si l’étude d’impact est actualisée, elle l’est « dans le périmètre de l’opération pour laquelle l’autorisation a été sollicitée et en appréciant leurs conséquences à l'échelle globale du projet ». L’autorité environnementale devra également être consultée sur l’étude d’impact actualisée.


L’importance de la participation du public :


La participation du public fait partie intégrante de la validation du processus.

Sous réserve de critères de seuil, le projet ne peut pas être autorisé sans une évaluation environnementale qui comprend, outre une étude d’impact, une procédure de participation du public, la consultation de l’autorité environnementale et des collectivités locales.

La durée de participation du public est de 30 jours minimum.


Le principe de compensation :


L’article L. 163-1 du code de l’environnement dispose que les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité doivent se traduire par une obligation de résultats et être effectives pendant toute la durée des atteintes ce qui doit être pris en compte dans le cadre des obligations liées au suivi des mesures prescrites par l’autorisation (article L. 122-1-1 et II de l’article R. 122-13).


Précédents pour l'annulation d’un projet d’extension d’un aéroport.


Il existe des précédents de décisions annulant une extension. Au Royaume Uni, en 2010, une première tentative d’extension de l’aéroport d’Heathrow, le principal aéroport de Londres, avait avorté grâce notamment à l’action des associations environnementales. Elles avaient invoqué notamment les obligations des Etats membres de réduction des rejets de CO2. En France, on pense bien évidemment à Notre Dame des Landes, quoique dans ce cas, il y avait transfert ET extension. La renonciation du projet a été de nature politique, ce n’est pas en effet un tribunal qui a interdit l’implantation de ce futur grand aéroport.

Des actions plus récentes sont en cours en France, pour faire reculer les pouvoirs publics.

Ainsi en décembre 2019, on apprend que 18 associations de protection de l’environnement ont rencontré le préfet d’Ile-de-France pour demander l’annulation du projet de terminal 4 de l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, au nom de l’urgence climatique.

Mais les tentatives judiciaires pour entraver de tels projets ne sont pas toujours couronnées de succès.

Ainsi, doit-on citer la décision rendue concernant la simple création d’une plateforme logistique géante AMAZON près de l’aéroport de Lyon, malgré un rapport défavorable du rapporteur public, qui a finalement validé le projet contre toute attente. Dans cette affaire, l’impact sur l’environnement était pourtant pointé (augmentation sensible de la circulation).

Ou encore celle de la CAA de Paris en date du 20 décembre 2018 qui déboute une association contestant  l’arrêté du 28 octobre 2016 par lequel le secrétaire d’Etat chargé des transports, de la mer et de la pêche a autorisé la cession de la participation de 60 % détenue par l’Etat au capital de la société Aéroports de Lyon à une société de droit français constituée par les sociétés Vinci Airports et Predica et par la Caisse des dépôts et consignations et, d’autre part, l’arrêté du 3 novembre 2016 fixant les modalités de transfert au secteur privé d’une participation majoritaire détenue par l’Etat au capital de la société Aéroports de Lyon, pris par le ministre de l’économie et des finances et le secrétaire d'Etat chargé de l'industrie, pour les motifs suivants :


"Pour contester le motif retenu par le tribunal, les requérants soutiennent que les décisions contestées impliquaient nécessairement le développement de l'activité de l'aéroport, le cahier des charges approuvé par le ministre chargé de l'aviation civile prévoyant en particulier que le cessionnaire devait procéder à des investissements à hauteur de 170 millions d'euros. Toutefois, les décisions en litige se bornaient à désigner, à l'issue de la procédure d'appel d'offres, le consortium Vinci Airports/CDC/Predica en qualité d'acquéreur d'une participation de 60 % détenue par l'Etat au capital de la société Aéroports de Lyon, à autoriser la cession de cette participation à ce consortium et, enfin, à fixer le nombre et le prix des actions cédées. La modification du capital de la société Aéroports de Lyon résultant des décisions litigieuses n'ayant pas pour objet ni pour effet direct d'étendre l'activité aéroportuaire, c'est à juste titre que le tribunal, qui a suffisamment motivé son jugement sur ce point, a jugé que les décisions en litige n'emportaient par elles-mêmes et directement aucune conséquence sur le développement de l'activité de l'aéroport, ni sur les nuisances liées à cette activité et que, dès lors, l'association ACENAS et les autres riverains, qui ne sauraient utilement se prévaloir de leur seule qualité d' " usager du service public ", ne justifiaient pas d'un intérêt suffisamment direct et certain leur donnant qualité pour demander l'annulation des décisions litigieuses. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, le tribunal n’a pas méconnu leur droit à un recours effectif dès lors que l'association ACENAS et les riverains de l'aéroport pourront, s'ils s'y croient fondés, contester les éventuelles décisions ultérieures concernant le développement de l'activité de l'aéroport". 


Avant d’envisager une action judiciaire, il sera donc essentiel de justifier d’un intérêt direct et certain donnant qualité pour agir aux requérants et de motiver leur demande par des moyens de droit et de fait suffisamment sérieux.




Me Laurent Gimalac, Docteur en droit de l’environnement,

Avocat spécialiste en droit de l’environnement.



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