De la réparation du préjudice de l’apiculteur à la suite d’un épandage de produits toxiques.

Par Me Laurent GIMALAC, Docteur en droit et Avocat spécialiste en droit de l'environnement. 


S’il existe un contrôle en amont de mise sur le marché des produits phytosanitaires, ainsi qu’un devoir d’information sur leur caractère dangereux, quid du droit de réparation de l’apiculteur qui est la victime d’un épandage de produits chimiques à usage agricole à proximité de ses ruches ?


Une telle action judiciaire est-elle envisageable ?


Il semble que cela soit le cas mais selon des modalités qui changent selon qu’il s’agisse d’une action civile ou d’une action pénale.


1° L’action pénale doublée de la constitution de partie civile de la victime : 


Quelques décisions illustrent les difficultés procédures pour obtenir satisfaction sur le terrain pénal.


1.1. L’affaire d’Avranches et du traitement des pommiers par le carbaryl


Un apiculteur a obtenu réparation à la suite de la mort d’une grande partie de sa colonie d’abeilles en 2007 à la suite de l’utilisation de produits phytosanitaires dans la propriété voisine située sur la commune du Petit-Celland, dans la Manche

Un cultivateur avait en effet utilisé un produit chimique en trop grande quantité sur ses pommiers et les conditions d’utilisation n’avaient pas été respectées.

Il doit être précisé que l’utilisation de ce produit chimique à base de carbaryl a été totalement interdite en France après le 30 mai 2008 mais que les faits remontaient à l’année 2007. 

L'apiculteur a relevé un taux de mortalité anormal dans ses ruches et une plainte a été déposée pour "non respect des conditions d'utilisation de produits phytosanitaires telles qu'elles figurent sur les étiquettes ».

Par une décision en date du 12 janvier 2010 le tribunal correctionnel d'Avranches (Manche) a constaté l’existence du délit et sanctionné l’infraction.

Il a infligé une amende de 1.000 euros dont 500 avec sursis et condamné le délinquant au versement de la somme de 7.500 euros de dommages et intérêts à titre de réparation à l’apiculteur.

L’association Manche Nature qui s’était porté partie civile, a obtenu 1.000 euros de dommages et intérêt et 500 euros pour le remboursement de frais de justice.

Ce jugement a fait l’objet d’un appel, et la décision de la Cour a modifié en partie le premier jugement.

En effet, si la condamnation a été confirmée en appel en raison du non respect des règles d’épandage, par contre, le lien de causalité  étant insuffisamment établi selon elle, bien que le produit soit toxique, et que des abeilles aient disparu au même moment. C’est toute la question de la mortalité directe qui reste un problème non réglé.


1.2. L’affaire d’épandage par vent fort à Brive


Dans une autre affaire d'épandage illégal de pesticides par vent fort,  trois pomiculteurs poursuivis au vu de l'arrêté de 2006 ''concernant les conditions météorologiques à respecter pour procéder aux épandages'' ont été relaxés par la décision du 13 janvier 2011 du tribunal de Brive et ce, "au bénéfice du doute". En effet, les relevés météorologiques ont été considérés comme ''insuffisants’’ pour caractériser le délit. 


Pour rappel, l’arrêté du 12 septembre 2006 interdisait tout épandage, vidange ou rinçage d’effluents phytosanitaires à moins de 50 m d’un point d’eau et 100 m d’une plage ou d’un lieu de baignade. Et toute pulvérisation était interdite dès lors que le vent dépassait les 19 km/h. En cas de méconnaissance de cette obligation, l'infraction était punie de six mois d'emprisonnement et  de 30.000 euros d'amende maximum. Pour la petite histoire, cet arrêté  n’ayant pas été notifié à la Commission européenne conformément à la directive européenne 98/34/CE du 22 juin 1998… il a finalement été  annulé pour vice de forme quelques années après par le Conseil d’Etat dans sa décision du 6 juillet 2016… pour être réactivé juste après par la Ministre de l’environnement.


1.3. L’affaire de l’épandage du carpocapse, ravageur de châtaigniers


Dans ce nouveau dossier, les plaignants ont eu plus de chance ou ont mieux préparé leur dossier.

Une plainte avait été déposée pour des traitements effectués sur certaines communes "ne bénéficiant d'aucune autorisation". En effet, les épandages utilisés contre le carpocapse, ravageur de châtaigniers, n'avaient obtenu une dérogation du préfet de Corrèze que sur douze communes pour une période comprise entre le 15 août et le 5 septembre 2011. 

De plus, les pulvérisations n'avaient pas respecté l'obligation de distance minimale des habitations (50 m), "tout comme l'information obligatoire ou le balisage de la zone et des accès à la zone traitée ».

Le tribunal correctionnel de Brive a reconnu la matérialité des faits et l’existence de l’infraction. Il a donc fini par condamner le donneur d'ordre à 5.000 € d'amende assorti de sursis. 

De plus, il a déclaré recevable la constitution de partie civile de l'ensemble des plaignants, "reconnaissant ainsi leur préjudice lié à leur qualité de victime.

C’est donc l’une des rares affaires de ce type qui a reconnu tant l’infraction que la qualité de victime des plaignants.


On le constate, il est parfois difficile pour les juridictions pénales d’appliquer des textes répressifs ce qui peut entraîner des déceptions certaines aux plaignants, il peut donc être tentant pour ces derniers de présenter directement leur dossier devant la juridiction civile sans avoir à invoquer l’existence d’une infraction.


2° L’action civile directe devant le juge civil :


Le tribunal de Foix a reconnu en juin 2020 dans une décision qui fera date que de nombreuses abeilles étaient mortes  en raison d’une « intoxication aiguë à la suite de la pulvérisation de Voxan »  et a condamné un agriculteur au versement de la somme de 3.700 euros de dommages et intérêts pour la perte des ruches d’un apiculteur. 

La décision se fonde sur une expertise de l’assurance de l’agriculteur laquelle avait conclu que le produit était dangereux pour l’environnement et notamment pour les 24 colonies d’abeilles. Il doit être précisé que l’agriculteur avait agit de bonne foi et ignorait les conséquences de son geste. Toutefois son assurance n’ayant pas souhaité transiger, il a été nécessaire de saisir la Justice d’une demande de réparation.

Le Tribunal  a ainsi reconnu que "la cause exclusive de la mortalité des abeilles est bien une intoxication aiguë suite à la pulvérisation de Voxan ».

Le Voxan a été interdit à la vente et son application est interdite à compter du 31 juillet 2020.


En conclusion, les apiculteurs pourront agir soit sur le terrain civil en réparation directe, soit sur terrain pénal et civil. Toutefois, au delà du principe de responsabilité, on peut rester rester dubitatif sur le quantum des dommages intérêts qui reste souvent dérisoire. l’amende qui s’ajoute aux dommages intérêts peut représenter une menace dissuasive contre les contrevenants.


Me Laurent Gimalac, Docteur en droit de l’environnement,

Avocat spécialiste en droit de l’environnement.



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