Protection de l’enseigne d’un restaurant gastronomique face à la concurrence déloyale.


Par Laurent Gimalac, Ancien Professeur à l’ISEM (ESMOD Paris) et à SUP DE LUXE (Groupe EDC, Paris) et Avocat 


Se faire un nom dans le monde de la haute gastronomie, prend souvent de nombreuses années de dur labeur. Un parcours du combattant qui parfois se concrétise par l'ouverture de son propre restaurant.

Il s'agit alors de protéger ce qui est en grande partie un "capital incorporel", un "savoir faire", un nom renommé, une enseigne...

Ce d'autant que des personnes moins scrupuleuses de l'éthique, mais appâtée par l'agent facile, pourrait vite s'inscrire dans le sillon de cette réputation pour en tirer profit.

Le droit peut constituer une arme de protection plus ou moins efficace selon les précautions prises lors de l'ouverture du restaurant.


I - DES PROTECTIONS OBJECTIVES EFFICACES MAIS PAS ABSOLUES 


1° Le droit des marques appliqué aux enseignes 


Parmi ces protections juridiques "objectives", on évoquera principalement la marque qui permet de s'approprier un nom commercial dès lors qu'il n'a pas été utilisé dans un secteur identique. Il suffit pour cela de déposer un dossier auprès de l'INPI qui effectuera une recherche d'antériorité et acceptera moyennant une redevance forfaitaire le dépôt de la marque dans un ou plusieurs secteurs (la restauration par exemple).


Un minimum d'originalité est requis sinon la marque ne sera pas acceptée.


Ainsi déposer le seul mot "restaurant" paraît exclu car le mot est purement descriptif et cela reviendrait à empêcher les autres établissements de se qualifier de "restaurants" sans prétendre à moindre originalité.


On n'exige néanmoins pas une originalité radicale pour valider un dépôt. Il suffit de faire preuve d'un peu de créativité et de ne pas simplement décrire une activité ou un produit.


La cour de cassation a même reconnu en 1988 le dépôt du mot "entrecôte" pour un restaurant car "celle-ci n'est pas générique".


A condition de renouveler régulièrement cette inscription à L'INPI, la protection est élevée puisqu'une imitation est considérée comme une véritable contrefaçon et donc peut faire l'objet d'une procédure devant le TGI compétent du lieu de résidence du défendeur.


Il reste qu'une marque peut ensuite être annulée par un tiers qui considère qu'elle ne répond pas aux conditions légales (manque d'originalité, simple description, ou usage courant dans le secteur...). Cette action en nullité de l'enregistrement postérieur d'une marque est spécialement prévue par l'article L 711-4 du code de la propriété intellectuelle.


Elle peut aussi être privée d'une partie de son efficacité si le concurrence démontre qu'il utilisait déjà l'enseigne bien avant le dépôt de la marque ce qui lui confère un droit d'usage personnel.


2° L'action en concurrence déloyale ou pour parasitisme dans la plupart des cas en l'absence de marque ou en présence d'une marque


Le cumul de l'action en contrefaçon et d'une action en concurrence déloyale est possible mais suppose qu'existent des faits distincts de contrefaçon d'une part et de concurrence déloyale d'autre part.


Sur le même marché, il sera question de concurrence déloyale, sur des marchés différents (produits et services distincts), on fera plutôt appel à la notion de parasitisme économique.


La concurrence déloyale revêt de multiples aspects, dénigrement, recherche d'une confusion par attirer le client d'autrui...


Rappelons que le fait de démarcher les clients d'autrui n'est pas illégal en soi mais que c'est la méthode employée qui peut être répréhensible.


L'action pour parasitisme ne nécessite par un rapport de concurrence direct : il suffit de démontrer que le parasite essaie d'utiliser la renommée d'une autre entreprise même dans un secteur différent. Il s'agit parfois d'une imitation de la décoration extérieure de deux restaurants sauf il elle ne fait que suivre la tendance générale de la mode.


3° La "nouvelle" protection des noms de domaine (sites internet) et la lutte contre le cybersquattage


En ce qui concerne les noms de domaine des sites internet, il existe également une disposition nouvelle peu connue permettant aux restaurateurs de déclarer leur nom de domaine au registre du commerce et des sociétés (RCS).


Entrée en vigueur le 1er septembre 2012, cette mesure reste facultative, mais peut s'avérer bien utile pour pré-constituer une preuve... Le détenteur du nom de domaine pourra ainsi plus facilement engager une action en concurrence déloyale, car l'antériorité pourra être prouvée par cette inscription.


La procédure est simple puisqu'il ne faut en principe aucune pièce justificative et le coût en est modique. On ne peut donc que la recommander aux restaurateurs...


L'entreprise aura pris soin au préalable de déposer son nom de domaine et de le faire enregistrer pour éviter le cybersquattage, c'est-à-dire le fait pour des tiers d'enregistrer avant elle ledit nom commercial comme nom de domaine, pour la priver de cette possibilité. De telles pratiques sont néanmoins répréhensibles soit comme contrefaçon de marque, soit comme opération parasitaire comme l'a jugé le TGI de Nanterre en 2000.


4° Le droit d'auteur à la marge


Plus rarement il est parfois possible de recourir au droit d'auteur mais à la condition de démontrer que l'objet de la copie est une oeuvre de l'esprit (par exemple un tableau, une sculpture qui ornemente un établissement et son enseigne...).


Mais inversement, le droit d'auteur d'un ex salarié d'une entreprise ne peut être utilisé contre cette même entreprise pour lui faire une concurrence déloyale comme vient de le juger la cour d'appel de Bourges en mai 2014.



II - DES PRÉCAUTIONS A PRENDRE SUR LA CONSTITUTION DU DOSSIER ET LA STRATÉGIE PROCÉDURALE


Constituer un droit est une chose, apporter la preuve de l'atteinte à ce droit en est une autre.


On ne recommandera jamais assez les plaignants de préparer un dossier le plus complet possible avant d'engager une procédure.


Le recours à un huissier devrait être systématique notamment pour effectuer un procès verbal de constat (photographies de l'enseigne concurrente par exemple, copie des publicités commerciales...)


On signalera l'initiative intéressante des huissiers qui ont créé depuis le 1er décembre 2014 un mini site à l'attention des entrepreneurs et commerçants accessible sur tablette et smartphone pour les orienter : www.entreprenezentoutesecurite.fr


Par ailleurs, une fois le dossier constitué, il faut choisir la bonne stratégie juridique : action en contrefaçon, action en concurrence déloyale ou pour parasitisme commercial ?


La question se pose avec d'autant plus d'acuité que des actes de contrefaçon de marques peuvent également constituer des actes de concurrence déloyale.


Les modalités et régimes procéduraux sont distincts, et il ne faut donc pas se tromper, de même que les sanctions prévues par les textes (la contrefaçon est sanctionnée pénalement, la concurrence déloyale ou le parasitisme ne sont sanctionnés que civilement par des dommages intérêts et une interdiction d'utiliser l'enseigne).



III - UNE PART DE SUBJECTIVITÉ DANS LA MISE EN OEUVRE DES PROCÉDURES A L'APPRÉCIATION DU JUGE : COMMENT ETABLIR LE RISQUE DE CONFUSION ?


Dans le cadre d'une action en concurrence déloyale, il faut démontrer que le risque de confusion est réel entre les deux enseignes et qu'il cause également un préjudice.


Les tribunaux usent donc de plusieurs critères pour limiter cette part de subjectivité dans l'appréciation de l'illégalité des actes de concurrence.


Ils examinent d'abord le risque de confusion.


Ainsi, les décision judiciaires varient suivant les cas présentés. Le risque de confusion a été considéré comme improbable entre la dénomination du restaurant parisien "La Tour d'argent" et celle de la société "Cauchoise Tour d'Argent" dans une affaire jugée par la cour d'appel de Paris en 1998.


Les juges tiennent également compte de la notoriété de la société dont la dénomination a été usurpée. Si elle est importante, le risque de préjudice est d'autant plus conséquent.


Enfin, ils déterminent le secteur géographique concerné, sachant que le risque de confusion est plus faible si les entreprises sont éloignées l'une de l'autre. Il a été jugé que la protection ne s'étendait pas toujours au delà de l'agglomération concernée, dès lors que la dénomination n'était pas originale (restaurant des pistes, snack de la mer...). La situation de concurrence entre les enseignes sera exclue pour des activités similaires dans la même ville si les clientèles sont essentiellement dissemblables ou bien distinctes. Doit-on en conclure qu'il n'y a pas de concurrence déloyale entre un grand restaurant et un snack qui utilisent les mêmes enseignes ? Le droit des marques pourrait ici être d'un grand secours, voire l'action pour parasitisme économique, qui n'exige pas la condition d'une concurrence directe mais celle de l'utilisation d'une réputation...


En conclusion, les restaurateurs doivent être (en partie) rassurés, il existe bien des outils juridiques pour protéger leur activité mais cela suppose une grande vigilance, et l'usage varié des différentes modes de protection et stratégies... ils se réjouirons par ailleurs de cette décision de 2012 de la cour de cassation qui a reconnu la possibilité de l'indemnisation moral subi par une société propriétaire d'un restaurant à la suite d'une concurrence déloyale...


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