Restaurants et pandémie de COVID 19 : vers un recours possible contre l’Etat ?

Par Laurent Gimalac, Ancien Professeur à l’ISEM (ESMOD Paris) et à SUP DE LUXE (Groupe EDC, Paris) et Avocat 


La fermeture administrative des restaurants en France constitue le point de départ d’un long calvaire, dans les restaurateurs ont du mal à se remettre.


Depuis le 14 mars 2020, les restaurateurs ne peuvent plus exercer normalement leur activité.


S’ils peuvent encore proposer de la vente à emporter, ou des services sous forme de drive, cela ne compense pas la perte de leur chiffre d’affaires.


Certains professionnels, n’hésitent pas, à soutenir que cette mesure, est disproportionnée et constitue une illégalité.


En effet, il existe deux principes intangibles dans notre système juridique que sont la liberté d’entreprendre et le droit de propriété.


S’il est vrai que la décision de fermeture est fondée sur des considérations au sanitaire impérieuses,  les restaurateurs rétorquent que des mesures qui portent atteinte au principe de liberté d’entreprendre et au droit de propriété ne peuvent pas être illimitées dans le temps, et qu’elles doivent nécessairement être proportionnées aux risques sanitaires.


Dans ce contexte, particulièrement tendu, certains restaurateurs peuvent donc être tentés de saisir la justice pour obtenir du gouvernement, qu’il prenne des mesures appropriées et proportionnées dans l’attente d’une réouverture complète.


Pour autant, est-il possible de saisir une juridiction sur la base de la violation du droit de propriété et de la liberté d’entreprendre ? Et quelles seraient les conséquences ?


I - DES LIBERTÉS FONDAMENTALES PROTÉGÉES PAR LA CONSTITUTION ET LA CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME


Force est de rappeler, que les libertés fondamentales sont garanties par la constitution. Ainsi que par la Convention européenne de sauvegarde des droits de Lhomme. Ainsi, les atteintes portées à ses principes doivent nécessairement être prévues par une loi. Et cette loi doit poursuivre un but légitime comme par exemple la protection sanitaire.


Au départ, les mesures qui ont été prises, était fondée sur l’article L3131–1 du code de la santé publique.Au départ, les mesures qui ont été prises mais force est de constater que ce cadre juridique était insuffisant puisqu’il a été nécessaire de faire appel à une loi d’urgence le 23 mars 2020.


D’aucuns estime, que cette loi n’était pas utile puisqu’il existait déjà un cadre juridique avec la loi du 3 avril 1955 laquelle pouvait être éventuellement adaptée pour tenir compte de l’actuelle pandémie.


Or le nouveau cadre juridique n’est pas exempte de critiques. En effet il est fait état comme critère d’application d’une «  catastrophe sanitaire » mettant en péril par sa nature et sa gravité la santé de la population. Il n’est pas certain que la notion de catastrophe soit clairement délimité, et cela peut par la suite poser des problèmes d’interprétation. Il en va de même de la notion de mise en péril qui reste encore bien flou.


Aussi, le cadre juridique utilisé, pour adopter des mesures très contraignantes, manque  de précision, sur l’étendue de ses mesures, sur leur durée, sur la possibilité d’un éventuel recours en cas d’excès de pouvoir  et ne précise par les droits qui pourraient être reconnus pour les victimes des mesures sanitaires.


Cela laisse donc la possibilité pour ces derniers d’invoquer, les principes généraux de notre droit pour demander à ce que des mesures trop contraignantes soient restreintes ou encore d’obtenir éventuellement une réparation si la contrainte est trop excessive.


Rappelons par ailleurs que la Convention européenne des droits de l’homme prévoit une procédure pour déroger aux libertés dans son article 15 qui n’a pas été mise en œuvre par la France : celle-ci est donc toujours soumise aux règles de droit commun. Cela peut constituer un point de départ intéressant pour un recours auprès des juridictions françaises qui sont également tenues d’appliquer cette convention.


II - QUEL OBJECTIF EN CAS DE RECOURS ?


Les motivations juridiques d’un recours, paraissent effectivement exister. Encore faut-il définir un objectif précis. S’Agit-il simplement, de demander à ce que des mesures plus proportionnées soit prises ce qui revient, à définir un véritable protocole sanitaire qui devrait être mise en œuvre par les restaurateurs ? Ou encore faut-il demander réparation pour le préjudice subi par cet arrêt quasi total de l’activité de restaurateur ?


Il existe déjà des précédents en matière de fermeture administrative. Un exploitant de camping a par exemple obtenu la réparation de son préjudice constitué par le montant de travaux qu’il avait dû engager inutilement postérieurement à des inondations pour améliorer la sécurité de son établissement (Voir en ce sens conseil d’État 11 avril 2008). Dans cette affaire, la préfecture avait rehaussé le niveau de protection requis, alors que l’exploitant avait déjà réalisé des investissements importants.


Il existe un principe de responsabilité sans faute de l’administration mais qui est circonscrit à des cas bien précis. Il faut notamment démontrer qu’il existe un préjudice au caractère grave spécial qui ne peut être regardé comme une charge incombant normalement à l’intéressé.


De même, il existe une jurisprudence applicable aux installations classées en cas de fermeture administrative. Même en l’absence de dispositions le prévoyant expressément l’exploitant d’une installation dont la fermeture ou la suppression a été ordonnée sur le fondement de l’article L514–7 du code de l’environnement en raison des dangers inconvénients qu’il présentait, est fondé à demander la réparation du dommage qu’il a subi de ce fait lorsque, excédant les aléas que comporte nécessairement une telle exploitation, il revêt un caractère grave spécial et ne saurait, dès lors, être regardé comme une charge incombe normalement à l’intéressé.


Il serait donc tentant de porter un recours indemnitaire devant le juge administratif en démontrant que la fermeture administrative entraîne un dommage anormal et spécial sans pour autant avoir à prouver que l’administration a commis une faute (régime de la responsabilité sans faute). Mais l’on pourrait rétorquer que ce principe de réparation ne vaut que pour des situations isolées (spéciales) et pas dans le cas d’une crise sanitaire générale qui induit une fermeture de toute une catégorie de commerces. Et c’est sans doute sur ce point que beaucoup de recours risquent d’échouer…


Me Laurent Gimalac, Docteur en droit, ancien chargé de cours à l’Université,

Avocat spécialiste.



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