Par Me Laurent Gimalac, Docteur en droit, Avocat spécialiste en droit de l'environnement.
Le droit de se désenclaver un fonds est prévu par le code civil, dès lors qu’il n’existe pas d’accès suffisant à la voie publique (art. 682 du cc). Pour autant, le propriétaire du fonds servant n’est pas privé de toute prérogative et doit intervenir dans la procédure de désenclavement pour obtenir un dédommagement, car le passage peut lui créer un lourd préjudice en limitant par exemple ses droits de construire ou encore en générant des nuisances (passages des véhicules du voisin…).
Le principe :
Le code civil prévoit le principe de cette indemnisation. Ainsi, en application de l’article 682 du code civil, le propriétaire du fonds au bénéfice duquel est reconnu un droit de passage doit verser à celui du fonds grevé de cette servitude une indemnité proportionnée au dommage qui peut en résulter. Ce dommage correspond à la fois aux nuisances occasionnées par l’usage de la servitude de passage et à la moins value du fonds servant occasionnée par cette servitude. En revanche, il ne peut être tenu compte du profit procuré au propriétaire du fonds enclavé, de sorte que la plus value du fonds dominant ne peut être incluse dans le préjudice du propriétaire du fonds servant.
Autrement dit, si le propriétaire du fonds servant peut invoquer le préjudice né de nouvelles nuisances ou encore de la perte de valeur de son fonds, il ne peut participer à la plus value apportée au fonds dominant du fait de son désenclavement.
Le propriétaire du fonds servant devra être vigilant lorsque l’expert judiciaire va calculer le montant de l’indemnité. En effet, l’expert désigné par le tribunal n’est pas toujours un expert en évaluation immobilière mais le plus souvent un géomètre expert. Or les erreurs sont courantes de leur part et il est plus habile de faire désigner un sapiteur qui aura pour mission dans son champ de compétence de calculer l’indemnité. Certes, le juge judiciaire a compétence pour rectifier les erreurs commises en matière d’indemnité mais cela peut prendre de nombreuses années avant d’obtenir un jugement en la matière, comme le révèle par exemple l’affaire jugée la cour d’appel de ROUEN sur renvoi de la cour de cassation ! (CA Rouen, 10 mars 2009). Dans cette affaire, l’expert avait inclus par erreur dans son calcul la plus value apportée au fonds dominant par le désenclavement et il a fallu retourner devant une cour d’appel pour rectifier ledit calcul après la censure partielle de la cour de cassation …
Le plafond de l'indemnité :
L’indemnité ne peut se fixer à la valeur vénale du terrain correspondant à l’assiette du passage » (Civ. 3e, 9 févr. 1994, n° 92-11.500), elle sera nécessairement plus faible.
La méthode utilisée pour la perte de jouissance exclusive d l’assiette de la servitude : surface multipliée par prix au m2 (après décote)
Il n’existe pas de méthode unique imposée, mais les experts utilisent souvent la méthode consistant à calculer la superficie de l’assiette du futur droit de passage sur le fonds servant, en la multipliant par la valeur estimée du terrain au mètre carré puis en appliquant un taux d’abattement pour indisponibilité du terrain d’assiette.
La question particulière de la décote :
Pour le calcul de la valorisation de « la perte de jouissance exclusive de l’assiette de la servitude et tous inconvénients liés au passage de nouveaux véhicules », l’expert retient toujours une décote par rapport à la valeur au m2 de la surface retenue, car la servitude n’entraîne pas une dépossession totale du propriétaire du fonds servant. Cette décote n’est pas fixe, elle peut varier d’un dossier à un autre.
Ainsi, le fait d’utiliser un accès déjà en partie existant entraînera une forte décote.
La cour d’appel de Nîmes a jugé en ce sens :
« En outre, le taux correcteur pour indisponibilité du terrain d’assiette a justement été fixé à 40 % du prix, étant rappelé que celui-ci se situe sur un chemin déjà existant traversant l’intégralité de la parcelle et simplement porté à 5 mètres, le technicien s’étant scrupuleusement attaché à rechercher les emplacements d’élargissement les moins dommageables pour le fonds servant. » (CA Nîmes, , 29 janv. 2008, n° 03/02547).
En règle générale l’abattement est de l'ordre de 40 à 50 % sauf cas particulier.
Les détails du calcul (différents postes) :
Dans le calcul de l’indemnité, il est possible d’intégrer non seulement la perte de valeur et de jouissance du fonds servant, mais également les éventuels dommages matériels et divers troubles et nuisances causés (Aix-en-Provence, 29 janv. 2013, n° 09/22147).
De plus, une indemnité doit être ajoutée quand la servitude entraîne également une moins value sur l’ensemble du terrain du fonds servant, ce qui sera le cas s’il perd par exemple une partie de ses droits de construire.
C’est le cas lorsque « la servitude passe au milieu du jardin, ce qui lui enlève son caractère privatif et le rend inconstructible » (Rouen, 10 mars 2009, n° 07/02888) et une indemnité avait été fixée à 50 000 €.
Il faudra ajouter également une participation aux coûts de travaux et de réalisation du tracé de la servitude lorsque la servitude créée des besoins nouveaux : clôture, terrassement, déplacement de portail…
Enfin, il faudra également comptabiliser les frais de géomètre et de bornage ainsi que d’expertise immobilière.
L’ensemble peut représenter une somme « coquette » qu’il ne faut pas négliger quand on entreprend une procédure de désenclavement.
L’étendue de la servitude et la portée de l’indemnité :
Il s’agira uniquement de la servitude autorisée par le tribunal et rien de plus. On ne saurait y ajouter quelque réseau, sauf à y être expressément autorisé par le propriétaire du fonds servant (Civ. 3e, 8 avr. 2010, n° 09-65.221).
Me Laurent Gimalac, Docteur en droit de l’environnement,
Avocat spécialiste en droit de l’environnement et droit communautaire.