Principe de précaution et environnement.

LA SAGA DU PRINCIPE DE PRÉCAUTION : 

UN REDACTEUR D’ACTES QUI «VERDIT» ET UN PLAIDEUR QUI EXPLORE DE NOUVEAUX CHAMPS DE RESPONSABILITÉ...

 


L'article 5 de la Charte de l'environnement, adossée en 2005 à la Constitution,  dispose que "lorsque la réalisation d'un dommage (...) pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution (...) à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage". Mais on n’en sait guère plus... Il faut donc trouver la réponse dans les textes d’application et la jurisprudence au cas par cas... 


Alors même que le principe de précaution a été officiellement reconnu comme un principe à valeur constitutionnelle, d’aucuns doutaient de son effectivité concrète et de son rôle «fertilisateur» dans le registre du droit privé. Le droit constitutionnel nous a en effet habitué à des invocations générales depuis la fin de la seconde guerre mondiale (droit au travail, droit au logement...) dont les applications concrètes ne se révèlent qu’après plusieurs décennies de «gestation».


En matière de développement durable, il semble pourtant que le droit positif connaisse une brusque accélération, à tel point que cette évolution/révolution, puisse parfois échapper aux praticiens encore habitués aux raisons anciens.


D’ores et déjà, le droit pénal semble trouver un regain d’inspiration dans ce concept (V. Jaworski, la Charte de l'environnement face au droit pénal : Rev. jur. env. 2005, n° spécial, p. 177) :  il est devenu commun de citer la décision du Tribunal correctionnel d'Orléans qui avait justifié l'application de l'état de nécessité prévu par l'article 122-7 du Code pénal exonérant du délit pénal les faucheurs volontaires d'OGM en s'appuyant sur les articles 1er et 5 de la Charte (T. corr. Orléans, 9 déc. 2005).


Toutefois le praticien peut conserver tout son étonnement devant un principe dont les contours semblent aussi malléables et indéfinis que le principe même de responsabilité. Il n’empêche qu’un tel principe a déjà des effets tangibles sur la rédaction des actes (I) comme sur l’évolution des champs de la responsabilité... (II)


I - UNE PRÉCAUTION QUI SUPPOSE LA TRANSMISSION OBLIGATOIRE D’INFORMATIONS CRITIQUES DANS LES ACTES DE VENTE OU DE MISE A DISPOSITION D’IMMEUBLES (LOCATIONS)


Ce sont les ventes de terrains ayant supporté des installations classées pour la protection de l’environnement (il y en a des milliers en France) qui sont les premières concernées par cette obligation d’information.


En effet, dans ce cas, le vendeur est tenu d’informer l’acheteur dès le compromis, et donc avant l’acte réitératif devant le notaire, de la présence de cette installation, de sa nature, et également des matières toxiques qui ont pu être utilisées. La recherche doit être exhaustive et il n’est donc pas rare de voir des actes faisant référence à d’anciennes exploitations des années 20 ou 30...


D’autres obligations d’information sont prévues dans le cas où le site serait inclus dans un périmètre à risques (PPRT ou PPRN) comme par exemple la survenance de sinistres ayant fait l’objet d’une indemnisation par un assureur.


La sanction peut-être la résiliation de la vente ou la réduction du prix de vente...


Là où les réacteurs d’actes peuvent être inquiets, c’est que la jurisprudence civile étend cette obligation à des terrains limitrophes aux installations classées. La recherche doit donc non seulement comprendre le terrain vendu mais aussi les terrains adjacents...


Par ailleurs, le conseil du vendeur pourrait croire naïvement qu’une simple clause d’achat «en l’état» pourrait dispenser son client de toute obligation. En fait il n’en est rien. L’obligation d’information est bien évidemment intacte, mais de surcroît les obligations de dépollution du site restent en vigueur à l’égard de l’administration préfectorale. Autrement dit, le vendeur ne pourra pas s’endormir sur ses deux oreilles, le Préfet pouvant mettre en oeuvre sa responsabilité pendant encore trente ans... la responsabilité administrative subsiste au delà de la responsabilité contractuelle.


Il est donc indispensable de faire appel à des bureaux spécialisés pour établir un diagnostic des sols avant la signature du compromis de vente et de faire une recherche d’antériorité sur les bases de données officielles du Ministère du développement durable. Or de telles études n’étaient pas systématiques dans le passé et il devient de plus en plus difficile d’établir avec certitude l’origine et l’imputabilité de la pollution des sols. Ce qui revient à faire du vendeur exploitant le «lampiste» qui paie pour tout le monde. Même un simple propriétaire «passif» (qui n’exploitait pas directement le site) peut être inquiété en cas de défaillance de l’exploitant (par exemple si celui-ci devient insolvable). Il ne peut donc se désintéresser totalement du sort de l’exploitation et a tout intérêt a participé activement à la rédaction des actes de cession du fonds de commerce pour éviter de mauvaises surprises. L’environnement agit en quelque sorte comme un «extenseur de champ contractuel» en associant à une opération d’achat vente tous les personnes indirectement intéressées à l’état de sols.


Une autre nouveauté récente, réside dans le fait que l’Etat est désormais tenu d’obligations équivalentes lorsqu’il vend ses biens du domaine privé. Si la cession entraîne l’application des mesures prévues par l’article L. 541-2 du Code de l’environnement (par exemple l’obligation d’éliminer les déchets), le coût de la dépollution devra s’imputer sur le prix de la vente ce qui suppose qu’il soit au préalable évalué par un organisme indépendant choisi de commun accord par les parties.


Les obligations d’information ne se limitent pas aux opérations avec transfert de droits réels. Compte tenu des obligations d’information qui incombent désormais au bailleur, les mêmes exigences s’imposent lorsqu’on met à disposition un terrain pour son exploitation par un preneur (bail commercial ou convention d’occupation précaire s’il s’agit du domaine privé d’une collectivité). De «jure», les conventions comprennent désormais une clause environnementale qui va définir à la fois les informations transmises au preneur, et son degré de responsabilité, en qualité de nouvel exploitant du site. Une clause suivant laquelle il assumerait la totalité de cette responsabilité (dont la validité a été reconnue par la jurisprudence) n’aurait cependant de sens que s’il était au préalable correctement informé de l’état environnemental du site.


II - UNE PRÉCAUTION QUI FAVORISE L’ESSOR DE L’OBLIGATION DE SÉCURITÉ/RÉSULTAT POUR LES PROFESSIONNELS ET LES FABRICANTS


L’exigence de précaution renforce la responsabilité des professionnels de nombreux secteurs et des fabricants de produits, de telle sorte que l’obligation de sécurité/résultat déjà bien connue en matière médicale, connaît de nouveaux développements.


De la responsabilité des professions médicales... :


Ces professionnels sont de plus en plus exposées à certains développements et l’on constate que les frontières entre la santé et l’environnement sont progressivement abolies.


Ainsi, par exemple, le Programme des Nations Unies pour l'Environnement (PNUE) veut à terme supprimer l'usage du mercure, car il est prouvé que le mercure est un polluant majeur pour l'environnement. Or cette décision peut avoir aussi un impact sur les amalgames dentaires à base de mercure qui sont encore largement utilisés par les professionnels en France. 


Il n’en fallait pas davantage pour que le commissaire européen l'Environnement, Monsieur Stavros Dimas affirme : "le mercure représente une menace pour la santé humaine et pour l'environnement dans l'Union européenne, comme dans le reste du monde". Pourtant rien n’est sûr dans ce domaine et certaines études prétendent que le problème serait davantage psychologique que physiologique. C’est donc bien le principe de précaution qui est en question et son application systémique pourrait entraîner l’interdiction du mercure dans les amalgames. Les professionnels doivent donc clairement se demander aujourd’hui s’ils peuvent encore utiliser sans risque ce type de produit et si l’on ne pourra pas leur en faire le reproche dans les mois ou les années à venir...


De ce point de vue, le revirement sans précédent de la FDA aux Etats Unis (Food and Drug Administration) qui reconnaît la neuro-toxicité du mercure et envisage de restreindre l'emploi de l'amalgame dentaire risque de peser lourd dans l’appréciation de la mise en oeuvre du principe de précaution et ses conséquences sur la prise en charge pécuniaire de troubles de santé.


...A la responsabilité des fabricants et fournisseurs de produits en général :


Une célèbre marque d’ascenseur a annoncé qu’elle avait entrepris une vaste opération de retrait des boutons de commande dans plus de 500 ascenseurs au nom du principe de précaution... Pourquoi ? Parce qu’on avait retrouvé des traces de Cobalt  60, une substance radioactive, dans les pièces métalliques utilisées pour fabriquer ces boutons !


Le risque était pourtant «contenu» mais cela n’a pas empêché cette société d’en tirer les conséquences pour éviter d’éventuelles actions en responsabilité.


Bien d’autres domaines sont concernés.


Ainsi par exemple, les formules des produits cosmétiques étaient largement soumises au principe du secret de fabrication. Une première étape a consisté à rendre obligatoire l’inscription de la composition sur les emballages. Mais ceci n’a pas suffit et la Communauté européenne souhaite à présent améliorer l’information des consommateurs de plus en plus exigeants. Ainsi, il est question d’obliger les fabricants d’indiquer clairement l’usage de «nano-matériaux» sur les notices. La nouvelle réglementation européenne rendra désormais obligatoire de citer ces molécules sur les étiquettes des cosmétiques à partir de 2013. 


En France, l'Afsset, qui avait été saisie à deux reprises par le gouvernement pour évaluer les risques au travail des nanomatériaux manufacturés, a recommandé le principe de précaution, après avoir relevé la présence ''d'effets néfastes pour l'homme et l'environnement''.


D’autres produits ont en encore moins les faveurs des pouvoirs publics, puisque leur retrait progressif est annoncé. Après l’annonce en septembre 2008 du plan «Ecophyto 2018» qui prévoit la réduction de 50% de l’usage des pesticides d’ici 10 ans, l’adoption du «paquet» Pesticides par le Parlement européen en janvier 2009 annonce le renforcement du contrôle de leur usage. La raison en est la contamination des sols, mais également des aliments consommés... Aussi à terme, il n’est pas exclu que l’interdiction de ces produits entraînent la mise en oeuvre d’actions en responsabilité...


L’essaimage du principe de précaution a donc des effets mal mesurés car diffus dans tous les secteurs de l’économie et le praticien ne peut donc plus en ignorer les conséquences tant en ce qui concerne la rédaction des actes que la gestion du contentieux... Il reste que le principe de précaution appliqué sans un minimum de discernement peut lui même susciter un contentieux de la responsabilité ! Ainsi, par exemple, des élus du bassin d’Arcachon ont estimé que le principe de précaution ayant conduit la préfecture de la Gironde à interdire la consommation des huîtres et moules du bassin, avait été appliqué “sans discernement” et ont invoqué un manque à gagner de “200 à 300.000 euros par jour”... On le constate, le travail des juristes est renouvelé par cette nouvelle problématique, à charge comme à décharge et cela annonce de beaux débats !



Me Laurent Gimalac, Docteur en droit de l’environnement,

Avocat spécialiste en droit de l’environnement et droit communautaire.



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