Le droit pénal de l’environnement et ses contraintes : l’exemple de la pollution autour de l’étang de Berre.

Par Me Laurent GIMALAC, Docteur en droit et Avocat spécialiste en droit de l'environnement. 


Les études se multiplient et confirment ce que l’on redoutait, le secteur de Vos sur Mer est on seulement pollué mais l’impact sur la santé humaine a sans doute été négligé depuis des années.

Ainsi, une étude réalisée par une association a révélé en février 2018 les conséquences délétères de cette pollution sur la qualité des aliments (un taux élevé de dioxines a été identifié sur un quart des échantillons de viande par exemple, Voir Nice Matin du 12 février 2018).

Une étude récente publiée pour le journal « Le Monde » confirme l’effet cocktail tant  redouté entre les particules fines et ultra fines issues du complexe de la chimie et de la sidérurgie présent autour de l’étang.

Une étude réalisée par des universitaires révélerait par ailleurs qu’il y aurait deux fois plus de cancers autour de l’étang de Berre… (Voir Libération du 14 février 2017)

Enfin, AIR PACA reconnaît sur son site d’information que les instruments de mesure de qualité de l’air ne couvraient pas l’ensemble des polluants présents dans la région, et donc sous estimaient le risque pour les habitants.

On peut donc comprendre que les habitants se soient sentis abandonnés à leur détresse, au fur et à mesure qu’ils découvrent ce qu’on leur a caché durant toutes ces années.

Certains pourraient être tentés de porter plainte pour mise en danger de la vie d’autrui.

Mais le droit pénal de l’environnement est-il le meilleur recours en réponse à leurs tourments ?

Ce n’est pas la première fois que la question se pose.

Déjà en 2005, la cour de cassation avait été saisie d’une demande de condamnation sur le fondement de la mise en danger de la vie d’autrui.

Dans cette affaire jugée le 4 octobre 2005, une station de surveillance de la qualité de l’ère avait enregistré une pollution au dioxyde de soufre un taux supérieur au seuil d’alerte de la population. En revanche le plafond des missions de dioxyde de soufre imposé à la raffinerie par son arrêté d’autorisation n’avait pas été dépassé en moyenne journalière. Le parquet décida toutefois de faire citer le directeur de la raffinerie sur le fondement de l’article 223–1 du code pénal mais il fut relaxé par la cour d’appel de Douai dans l’arrêt qui a été confirmé par la Cour de cassation en 2005.

Le délit de mise en danger implique en effet la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence laquelle est imposée soit par la loi soit par le règlement. Mais il faut qu’elle entraîne l’exposition directe d’autrui un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente. Le préjudice causé doit être particulièrement grave puisqu’il s’agit de la mort ou de blessures conséquentes qui portent atteinte à l’intégrité physique. À défaut de démontrer que la pollution produise un tel effet, un tel délit n’est donc pas concevable en matière d’environnement.

Est-ce à dire qu’il faille renoncer à toute action judiciaire ?

Il nous semble que non.

En effet les pathologies liées à la sur-exposition sur le long terme aux polluants constituent une atteinte grave à la santé publique.

Il reste toutefois à définir un responsable ce qui n’est pas le moindre des « challenges ». 

La pollution est en effet la résultante de plusieurs exploitations conjuguées ainsi que de la tolérance de la puissance publique qui a fermé les yeux pendant des décennies sur les risques induits pour la santé humaine.

Il faudrait donc identifier l’ensemble des entreprises responsables des émissions polluantes sur le secteur… ce qui pourrait être faciliter par la consultation du registre des ICPE. Puis il faudrait déterminer les types de polluants incriminés et leur part de responsabilité individuelle (ainsi que leurs effets combinés).

D’aucuns imagineraient également une plainte dirigée contre l’Etat qui a laissé faire sans interdire ou prendre l’exacte mesure de la menace pour la santé humaine.

Mais là encore, le juge pénal se montre timoré.

Il avait déjà considéré en 1996 « que les faits dénoncés par la partie civile, reprochant au maire et au préfet de police de Paris de s’être abstenus de prendre les mesures nécessaires pour pallier les effets de la pollution atmosphérique sur la santé publique, tels qu’ils avaient été constatés par l’Observatoire régional de santé d’Ile-de-France, ne peuvent admettre la qualification de l’art. 223-1 c. pénal, ni entraîner une autre incrimination au sens de l’art. 86, al. 4, c. pr. pénal. » (Cass. crim. 25-06-1996, n° 95-86.205).

Voilà sans doute la raison pour laquelle il serait peut-être plus simple de mettre en cause la responsabilité administrative de l’Etat plutôt que sa responsabilité pénale … mais cela est une autre histoire. 


Me Laurent Gimalac, Docteur en droit de l’environnement,

Avocat spécialiste en droit de l’environnement.



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