Décharges sauvages : quels moyens légaux pour les faire cesser ?

Par Me Laurent GIMALAC, Docteur en droit et Avocat spécialiste en droit de l'environnement. 


Un dispositif répressif et indemnitaire a été mis en place pour prévenir et réparer les dépôts sauvages de déchets. Les particuliers peuvent actionner le levier répressif ou encore mettre en oeuvre l'action civile.


1°/ L’interdiction et la sanction pénale des dépôts sauvages sur la voie publique ou sur un terrain privé


1.1. Déposer sur un terrain privé 


Suivant l’article R. 632-1 du code pénal, » le fait de déposer, d'abandonner ou de jeter, en un lieu privé ou public", à l'exception des emplacements désignés à cet effet par l'autorité administrative compétente, "des ordures, déchets, matériaux ou tout autre objet, de quelle que nature que ce soit", si ce dépôt n'est pas effectué par la personne ayant la jouissance du lieu ou avec son autorisation est une contravention de la 2e classe. L’amende est d’un montant de 150 euros.


Cependant, l’article R. 635-8 du code pénal, le fait de déposer, d’abandonner ou de jeter dans un lieu public ou privé une épave de véhicule, des ordures, des déchets, des matériaux ou tout autre objet lorsque ceux-ci ont été transportés à l’aide d’un véhicule devient une contravention de la 5e classe (amende de 1 500 euros pour les personnes physiques et pour les personnes morales, une amende de 7 500 euros).


1.2. Encombrer la voie publique


Le fait d'encombrer la voie publique en y déposant ou en y laissant sans nécessité des matériaux ou objets quelconques (qui ne sont pas nécessairement des déchets), qui entravent ou diminuent la liberté ou la sûreté de passage est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la 4e classe, selon l’article R. 644-2 du code pénal.


1.3. L’abandon par une entreprise de ses déchets 


L’article L. 541-46 du Code de l’environnement, prohibe pour une entreprise, le fait d’abandonner des  déchets en camionnette par exemple dans un champ ou dans une forêt (amende jusqu’à 75 000 € et jusqu’à deux ans de prison).

Un emprisonnement d'une durée de sept ans et une amende de 150 000 euros sont prévus par l'article L. 541-46, VII, lorsque l'infraction est réalisée en bande organisée au sens de l'article 132-71 du code pénal.

Le texte incrimine plus généralement le fait de  :

« Abandonner, déposer ou faire déposer, dans des conditions contraires aux dispositions du présent chapitre, des déchets… » 

L’abandon est défini comme "« tout acte tendant, sous le couvert d'une cession à titre gratuit ou onéreux, à soustraire son auteur aux prescriptions du chapitre I, du titre IV, du livre cinquième du code de l'environnement et des règlements pris pour son application».

Il est interdit également de :

"Remettre ou faire remettre des déchets à tout autre que l'exploitant d'une installation agréée, en méconnaissance de l'article L. 541-22 ».

L’article L. 541-48 du code de l'environnement précise que « l'article L. 541-46 est applicable à tous ceux qui, chargés à un titre quelconque de la direction, de la gestion ou de l'administration de toute entreprise ou établissement, ont sciemment laissé méconnaître par toute personne relevant de leur autorité ou de leur contrôle les dispositions mentionnées audit article »

Les personnes morales peuvent également être déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues à l’article 121-2 du code pénal, des infractions définies à l'article L. 541-46, I, du code de l’environnement. Mais cela ne dispense par les dirigeants de respecter les règlements et leur responsabilité personnelle peut toujours être engagée.

On relèvera qu’il existe des facteurs aggravants comme le fait de déposer les déchets dans le périmètre des eaux potables, dans les eaux, ou encore dans le lit et sur les berges des rivières…


2°/ La constitution de partie civile des victimes d’infractions de dépôts sauvages


Les victimes, personnes physiques, peuvent se constituer partie civile en cas de préjudice qui est la conséquence directe d’une des infractions visées à l’article L. 541-46, I, du code de l’environnement.

Il en va de même des associations reconnues d’utilité publique qui ont pour objet dans les statuts à titre principal, d’agir pour la protection et l’amélioration de l’environnement et du cadre de vie ainsi que les associations agréées (C. envir., art. L. 141-1 s.). 


3°/ La mise en demeure de l’autorité de police de remettre le site en état


La puissance publique peut mettre en demeure le détenteur ou le producteur de déchets d’effectuer les opérations nécessaires au respect de la réglementation (C. envir., art. L. 541-3, al. 1er).

Il est également prévu une consignation par l’article L. 541-3, I. Dans ce cas, le titulaire du pouvoir de police peut contraindre le responsable à consigner entre les mains d’un comptable public une somme répondant du montant des travaux à effectuer, «  elle-ci étant restituée au fur et à mesure de la réalisation des travaux ».

Il peut sur le fondement de l’article L. 541-3, 2o, faire procéder à l’exécution des mesures prescrites « d’office ».

Le versement d’une astreinte journalière d’un montant maximum de 1 500 euros peut être ordonné à titre comminatoire pour contraindre le délinquant.


4°/ Du préjudice esthétique pour les riverains


Suivant un arrêt du 24 février 2005 (Civ. 2e, 24 févr. 2005), il a été admis que des dépôts importants (ferrailles, planches et autres matériels usagés) ou le stationnement prolongé de matériels hors d’usage (camions, caravanes et autres engins agricoles) pouvaient être la source d’une « gêne esthétique anormale » pour le voisinage et donc justifier une demande de dédommagement sur le terrain de la responsabilité civile.

Cette solution a même été appliquée pour un garagiste qui utilisait  son terrain pour entreposer sur une longue période des carcasses de véhicules (Cour d’appel de Nancy 27 novembre 2007). Ainsi le preneur du terrain ne peut arguer de son activité professionnelle pour se soustraire à certaines obligations.


5°/ De la responsabilité du Maire qui refuse de faire enlever les dépôts de déchets


Il appartient au Maire de mettre en oeuvre les pouvoirs dont il dispose pour mettre fin à une atteinte à la sécurité ou à la salubrité publique sur le territoire de Commune.

Ainsi, la carence des autorités de police à exercer leur mission de sécurité va engager la responsabilité de la collectivité publique : si le maire ne prend pas les précautions nécessaires pour éviter la survenance d’un incendie dans un dépôt d’ordures non aménagé, il est responsable des conséquences dommageables (CE, sect., 28 oct. 1977, Cne de Merfy, Lebon 406).

Si le Mairie ne fait rien, le Préfet est compétent pour prendre les dispositions nécessaires. Ainsi, le Conseil d’Etat l’a bien rappelé en 2011 :

« « Considérant [...] que le détenteur de déchets de nature à porter atteinte à l'environnement a l'obligation d'en assurer l'élimination dans des conditions propres à éviter une telle atteinte ; que l'autorité investie des pouvoirs de police municipale doit prendre les mesures nécessaires pour assurer l'élimination des déchets dont l'abandon, le dépôt ou le traitement présentent des dangers pour l'environnement ; qu'en cas de carence de l'autorité municipale dans l'exercice des pouvoirs de police qui lui sont conférés au titre de la police des déchets, le préfet doit prendre sur le fondement de ces dispositions, à l'égard du producteur ou du détenteur des déchets, les mesures propres à prévenir toute atteinte à la santé de l'homme et à l'environnement ; qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Montreuil Développement pouvait être regardée comme le détenteur des déchets en cause au sens des dispositions citées ci-dessus de l'article L. 541-2 du code de l'environnement ; que, par suite, le préfet aurait dû, sur le fondement des dispositions de l'article L. 541-3, en se substituant au maire défaillant, imposer à la société Modev l'élimination des déchets et la remise en état du site, qui était d'ailleurs indispensable à la réalisation du projet d'aménagement de logements et d'une école [...] »


En conclusion, l’arsenal juridique contre les abandons de déchets existe et peut être mis en oeuvre pour mettre fin à des situations illégales, mais le plus difficile restera d’identifier les prévenus pour engager contre eux les poursuites. La question de la preuve reste donc essentielle pour améliorer l’efficacité des mesures légales.


Me Laurent Gimalac, Docteur en droit de l’environnement,

Avocat spécialiste en droit de l’environnement.



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