Pollution des cours d’eau : quelle parade juridique et qui peut agir ?


Par Laurent GIMALAC, Docteur en droit, Lauréat et Avocat spécialiste en droit de l’environnement.



La pollution des cours d’eau est une plaie qui affecte grandement la biodiversité.

Si la pollution par les pesticides semblait en léger recul ces dernières années (baisse de 13 % selon nature France entre 2008 et 2016), le bilan global n’est cependant pas fameux. Ainsi le journal « Le Monde » écrit en octobre 2017 « la qualité de l’eau se dégrade encore en France ». Les seuils sont même dépassés à de nombreuses reprises : « Sur 53 % des points de mesure de la qualité des eaux de surface, la norme de qualité nécessaire pour l’eau potable (0,1 microgramme/litre) est dépassée ».

Les pesticides ne sont les seuls en cause, la présence des nitrates en trop grand quantité est aussi révélée par une étude qui indique que la valeur guide européenne est dépassée dans 43 % des cas. 

La raison en serait que les plans successifs des pouvoirs publics ne seraient pas efficaces. La consommation de produits phytosanitaires-sanitaires ne cesse en effet d’augmenter en France malgré toutes les bonnes résolutions…

Et de pointer la grande injustice des prélèvements puisque les particuliers financent l’essentiel (70 %) de la consommation en eau, alors que les agriculteurs consomment deux fois plus mais ne contribuent  que pour 4 %…

Autant dire que le système est totalement déséquilibré et injuste, et surtout peu efficace pour réduire la pollution.

A cette pollution systémique, il faut ajouter les pollutions accidentelles ou volontaires.

Les procès se font l’écho de ces comportement illicites et dommageables à la biodiversité.

Ainsi par exemple, au cours du mois de juin 2017, les cours d’eau du Stanwen et de l’Ellé ont connu une très forte pollution à la suite du déversement de boues et d’eaux usées. Les services de l’ETAT ont pu identifier les responsables et une audience correctionnelle a été fixée pour juger l’entreprise DOUX devant le tribunal de grande instance de Lorient.

Quelles sont les infractions ?

Rappelons que L’article L. 432-2 du Code de l’environnement réprime « le fait de jeter, déverser ou laisser écouler dans les eaux mentionnées à l’article L.431-3, directement ou indirectement, des substances quelconques dont l’action ou les réactions ont détruit le poisson ou nui à sa nutrition, à sa reproduction ou à sa valeur alimentaire ».

Le délit prévu par l’article L. 432-2 du Code de l’environnement est puni de deux ans d’emprisonnement et de 18 000 € d’amende.

Après la loi sur l’eau de 1992, une seconde infraction permet de sanctionner les pollutions autres que celles nuisant au poisson (art. L. 216-6, C. env.).

Ce délit plus large est puni de deux ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende et le tribunal peut également imposer à la personne condamnée de procéder à la restauration du milieu.

Il existe également des textes spécifiques tels que :

-la destruction d’espèce protégée ou de son milieu (L.415-3 C. env.),

-l’exploitation d’une installation classée pour la protection de l’environnement sans autorisation (L.514-9 C. env.)

Ce sont principalement les agents de l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques (ONEMA) qui sont habilités pour constater tout infraction au code de l’environnement.

A défaut de procès verbal, il est toujours possible pour l’association de protection de l’environnement de porter plainte et de se constituer partie civile pour demander réparation. Mais elle devra alors apporter la preuve de l’infraction (par un PV de constat d’huissier par exemple).

Quels sont les risques pour les pollueurs ?

Dans une affaire plus ancienne (février 2005 puis février 2006), les agents du conseil supérieur de la pêche avaient pu identifier l’origine de la pollution du ruisseau du POUMEN et des  cours d’eau du KERCHIR et du CALAVRET, en raison du déversement des eaux d’épandage de la société KERLYS. Le tribunal correctionnel de Lorient dans son jugement du 5 mars 2009 avait condamné le pollueur à 10.000 euros d’amende tout en précisant que «  le délit de pollution n’exige pas, pour être constitué, qu’une mortalité de poisson ait été constatée » (Voir Tribunal Correctionnel de Lorient, 20090305, Eau et rivières de Bretagne c/ Société KERLYS, n° 597/09).

Plus récemment, c’est un légumier qui a été traduit en justice et condamné en Bretagne, notamment grâce à la pugnacité de l’association Eaux Rivières de Bretagne.

L’entreprise s’était rendue responsable d’avoir utilisé un pesticide particulièrement dangereux, le metamsodium, qui « avait été entraîné dans la rivière lors de fortes pluies, détruisant toute vie piscicole sur 13 km de cours d’eau et dans l’estuaire ».

L’intérêt de cette affaire est d’attirer la vigilance des agriculteurs sur le fait qu’ils ne peuvent utiliser certains produits à proximité d’un cours d’eau, et alors que la météo annonce de fortes pluies qui vont lessiver les sols. En l’occurrence l’EARL GUILLERM a été condamnée à une amende de 3.000 euros… ce qui peut être considéré comme une somme modique compte tenu des dégâts causés à l’environnement…

Mais les agriculteurs ne sont pas les seuls en cause. Ainsi des particuliers ou des artisans sont parfois surpris en train de jeter des déchets dangereux dans des cours d’eau. Un militant écologiste a ainsi photographié un individu qui lançait des palets de chlore dans la Siagne dans le sud est de la France en mai 2016… et de tels comportements irresponsables ne sont malheureusement pas rares.

Le Maire peut-il être condamné en cas de négligence dans la gestion du service d’assainissement ?

Les maires ne sont pas à l’abri des poursuites pénales. En effet, force est de rappeler qu’un maire a été condamné à 40 000 francs d’amende car la pollution du cours d’eau était due aux rejets des trois stations d’épuration de la commune, alors que la mauvaise qualité des rejets était connue du prévenu et qu’en sa qualité de maire, il avait donc commis une faute personnelle de négligence (Cass. crim., 3 avril 1996). Le maire n’a pu s’affranchir de sa responsabilité en allumant le fait qu’un appel d’offre avait été lancé avec un an de retard, puisqu’aucune suite n’avait été donnée à ce projet. Le tribunal a relevé notamment le temps qui s’était écoulé entre la naissance du problème en 1989 et l’échec d’un projet commun avec une autre commune en 1997.

La jurisprudence rappelle également qu’il appartient à police municipale de prévenir, par des précautions convenables les pollutions de toute nature (TGI Rennes, 9 février 1994).

Il existe d’ores et déjà plusieurs condamnations de Maires notamment en raison du dysfonctionnement de leur station d’épuration surchargée (TGI Caen, 8 mars 1994, jugement n° 698/94), y compris lorsque l’origine de ce dysfonctionnement résulte des rejets de purin des agriculteurs (TGI Chaumont, 17 mai 1994, Juris-Data : 1994-603242). le Maire commettrait une négligence à laisser faire des pollueurs clairement identifiés sans réagir et sans prendre les mesures d’interdiction appropriées

Qui peut agir ?

En premier lieu, ce sont les agents verbalisateurs qui peuvent enclencher l’action publique en dressant un PV. Mais bon nombre de cas, le rôle des associations de protection de l’environnement est essentiel pour déposer plainte ou encore pour demander réparation. Il en va de même pour les associations de pêcheurs qui y ont également intérêt pour la protection de la ressource.

Les syndicats mixtes chargés de l’aménagement et de la gestion des bassins ont également une responsabilité et doivent mettre en oeuvre l’action pénale par une plainte. Bien évidemment la difficulté résidera dans l’identification de la cause et du responsable des faits délictueux. La preuve en est facilitée sur le responsable est surpris sur le fait et reconnaît sa responsabilité ce qui arrive parfois. Dans ce cas, il devra proposer des mesures de restauration de l’éco-système.

En conclusion, tant les mairies que les entreprises, ou les particuliers doivent aujourd’hui prendre garde à ne pas engager leur responsabilité en polluant des cours d’eau soit par leur négligence soit par leur faute intentionnelle. Le parquet pourra décider de porter l’affaire devant un tribunal correctionnel ou encore proposer une médiation pénale dans les cas les moins graves. La mesure la plus contraignante ne sera pas nécessairement l’amende qui est parfois faible, mais la publication dans un journal local du jugement qui a été rendu aux frais de la personne condamnée.



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