Le point sur les antennes relais.

LA SAGA DES ANTENNES RELAIS DEVANT LA COUR D’APPEL DE VERSAILLES  : 

UN ARRET CONFIRMATIF TROUBLANT ET/OU UN ARRET SUR UN TROUBLE D’UNE NATURE NOUVELLE ?

Par Laurent Gimalac, Avocat spécialiste en droit de l'environnement et docteur en droit.


Ce n’est pas la première fois qu’une juridiction du fond est saisie d’un litige concernant des antennes relais pour téléphones mobiles. En revanche, c’est la première fois à notre connaissance qu’une juridiction du second degré (confirmant le jugement du 18 septembre 2008 du tribunal de grande instance de Nanterre), reconnaît la nécessité de retirer une antenne relais sur le fondement d’un trouble anormal du voisinage.


I - UN ARRET DE LA JURISPRUDENCE CIVILE «TROUBLANT»


L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Versailles le 4 février 2009 a semblé «troubler» plus d’un observateur.


Il rompt déjà avec la monotonie de la jurisprudence administrative qui presque invariablement donnait raison aux opérateurs téléphoniques et censurait les velléités de résistance des Maires prenant des arrêtés sur demande de leurs administrés pour demander le retrait des antennes relais des secteurs les plus «sensibles».


Et même dans le seul contexte de l’ordre judiciaire, il constitue une exception que l’on doit cependant relativiser. En effet, plusieurs décisions judiciaires du premier degré avaient permis d’éclaircir le terrain. Il convient de citer en premier lieu, le désormais fameux jugement du tribunal de grande instance de Toulon du 20 mars 2006, par lequel une juridiction «sudiste» avait déjà reconnu l’existence d’un trouble anormal du voisinage dans un cas similaire. Mais il est vrai que ce jugement avait été ensuite censuré par la Cour d’appel d’Aix... ce qui semblait fermer la porte aux plaignants, du moins pour quelques temps... 


Il faut également se rappeler que le Tribunal de Grande Instance de Grasse avait également rendu une décision similaire contre SFR par jugement en date du 17 juin 2003, à la demande de la Commune de la Roquette sur Siagne mais il est vrai que dans cette affaire les valeurs limites d’émission n’étaient pas respectées ce qui a facilité la prise de décision des juges !


Il se trouve que le débat a été rouvert, et de la manière la plus retentissante, puisque le tribunal de grande instance de Nanterre, par son jugement du 18 septembre 2008 a repris une argumentation idoine, en associant le trouble anormal du voisinage à l’implantation d’une antenne relais à proximité d’habitations de particuliers. Le tribunal avait été saisi d’une demande de trois couples résidant à proximité de l’une de ces installations qui étaient inquiets pour leur santé et celle de leurs enfants.


La société Bouygues Telecom avait pourtant fait valoir que «les demandeurs ne se plaignent d'aucune pathologie d'aucune sorte, les demandeurs ne démontrent aucunement l'existence d'un risque pour la santé, la Cour de cassation refuse de prendre en compte un préjudice purement éventuel, en matière de relais de téléphonie mobile, l'absence de droit à la vue a été rappelée par de nombreuses décisions».


Mais le tribunal avait finalement insisté sur l’évolution des conclusions de la communauté scientifique qui n’était plus certaine de l’innocuité de ces appareils sur la santé humaine au moment où il statuait. L’OMS avait ainsi remis un rapport alarmant, tandis que les assurances refusaient désormais de couvrir ce nouveau risque sanitaire lié à l’électromagnétisme ! Ainsi, le risque n’était pas hypothétique mais certain, et son caractère normal résultait de ce qu’il portait sur la santé humaine. La référence au principe de précaution était par ailleurs explicite.


C’est précisément ce jugement que la Cour d’appel de Versailles, saisie par voie de recours ordinaire par la société Bouygues Telecom, confirme en ordonnant l’enlèvement de l’antenne relais sous astreinte et en fixant les dommages et intérêts à hauteur de 7000 € par couple.


Son raisonnement est cependant quelque peu différent de la juridiction du premier degré en ce que la Cour ne fait pas état d’un risque certain, mais de l’absence de preuve d’une absence de risque comme fait générateur du trouble anormal du voisinage !  Et qu’ainsi c’est «l’angoisse créée» par cette situation, parfaitement palpable, qui devient le facteur apparent légitimant la solution retenue par les juges ! Le glissement n’est pas seulement sémantique, il dénote la volonté de mettre en place une nouvelle méthodologie dans l’appréhension du trouble du voisinage en parallèle avec le développement du principe de précaution.


II - UN ARRET STATUANT SUR UN TROUBLE D’UNE NATURE NOUVELLE


La Cour de Cassation avait admis que la simple exposition a un risque avéré pouvait donner droit à réparation (Civ. 2e, 10 juin 2004, Bull. civ. II n° 291). Le jugement de la juridiction de Grasse précité, semblait lui aussi entrouvrir cette voie sans explicitement se référer au principe de précaution. Il était donc acquis qu’une menace certaine pouvait donc être assimilée à un trouble ! Néanmoins, fallait-il s’entendre sur la nature de cette menace et son intensité.


C’est là qu’intervient en filigranes le principe de précaution et l’innovation de la Cour d’appel qui par «petites touches» met en exergue le doute qui existe dans ce domaine et de l’état lacunaire des connaissances.  Elle met en effet à la charge de la preuve entre les mains des opérateurs, qui ont l’obligation de prouver l’innocuité de leurs relais pour la santé humaine.


De là à dire qu’il s’agit d’une preuve impossible, il n’y a qu’un pas que les opérateurs ont aisément franchi pour stigmatiser l’arrêt de la Cour d’appel voire le ridiculiser, en essayant de transposer cette solution à d’autres produits de la technologie qui suscitent des risques comme par exemple l’automobile.


C’est manquer de nuance car l’avis de la Cour n’est pas transposable à tous les produits technologiques mais aux nouvelles technologies lorsqu’il existe des indices permettant de soutenir l’idée qu’elles peuvent avoir un impact sur la santé humaine ! Ce qui était bien le cas en l’espèce puisque des travaux montrent que les ondes ont au moins un effet calorifuge et peuvent dégrader l’ADN d’organismes vivants (fruits etc). 


Du reste, la comparaison avec l’automobile nous paraît au contraire justifier l’application du principe de précaution car tout un régime de responsabilité a été mis en place et le risque lié à l’usage de l’automobile est clairement pris en compte par la société (Loi Badinter, assurance obligatoire aux tiers etc.) ce qui n’est pas le cas du risque lié aux antennes relais qui semble ne pas être assuré !


De surcroît le principe de précaution qui sous tend l’arrêt de la Cour d’appel (bien qu’elle ne le nomme pas) est un principe juridique reconnu Le principe de précaution figure dans l’article 5 de la Charte de l'environnement dans les termes suivants « lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu’incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veilleront, par application du principe de précaution, et dans leurs domaines d'attribution, à la mise en œuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ».



L’impact de cette décision est considérable, car rien que sur les toits d’une ville comme Lyon, il existerait plus de 400 antennes relais actuellement. Et dans la plupart des cas, ces antennes sont situées à proximité de la population. Il est donc vraisemblable que les opérateurs demanderont tôt ou tard l’arbitrage ultime de la Cour de cassation si les recours se multiplient et se concrétisent par l’enlèvement des installations... et que le gouvernement ouvrira un «mini-Grenelle» pour faire le point sur le risque et prescrire le cas échéant une réduction des émissions. 



PROLOGUE : On apprenait le 22 février dernier, que le tribunal de Grande instance de Carpentras avait franchi une nouvelle étape en condamnant SFR à démolir une antenne relais à Châteauneuf du Pape dans le Vaucluse...  Or selon l’avocat du plaignant « cette décision est également une première en France, car le TGI admet ce risque pour une maison située à une centaine de mètres de l'antenne et non sur le toit ou tout proche. » Peu de temps après, le juge des référés du tribunal de grande instance d'Angers interdisait à un opérateur d'installer une antenne de téléphonie mobile dans le clocher d'une église située à proximité immédiate d'une école... A suivre.



Me Laurent Gimalac, Docteur en droit de l’environnement,

Avocat spécialiste en droit de l’environnement.



© Cabinet de Me Gimalac Avocat - Paris, Lyon, Cannes, Grasse - IDF et French Riviera  - 2020