Recours des agriculteurs contre leur mise en danger par les produits phytosanitaires.

Par Me Laurent GIMALAC, Docteur en droit et Lauréat, Avocat spécialiste en droit de lenvironnement.



Pendant longtemps, la question de la responsabilité des producteurs de produits phytosanitaires est restée tabou et les agriculteurs n’avaient guère de chance d’obtenir gain de cause devant un tribunal. Aujourd’hui, il n’y a désormais plus d’impunité et les premières décisions favorables apparaissent, mais elles doivent être replacées dans leur contexte et analysées au cas par cas.


I - UNE JUSTICE PLUS SÉVÈRE A L’ÉGARD DU PRODUCTEUR


La justice française a récemment condamné la multinationale MONSANTO pour le défaut d’information d’un agriculteur qui a été intoxiqué par l’un de ses produits. L'arrêt été rendu par la cour d'appel de Lyon le 10 septembre 2015. Au cours du nettoyage d'une cuve celui-ci avait respiré accidentellement les vapeurs d'un dangereux herbicide, le Lasso qui a depuis, été retiré du marché en 2007. Il a du être arrêté pendant cinq semaines. 


Il convient de rappeler que cette affaire avait été jugée au premier degré par le tribunal de grande instance dans sa quatrième chambre, le 13 février 2012. Le tribunal avait déjà condamné la firme Monsanto au motif qu'elle n'avait pas respecter ses obligations d'information sur l'étiquetage du produit. Elle a engagé sa responsabilité délictuelle sur le fondement des articles 1382 et suivants à l'égard de l'agriculteur.


Le tribunal avait retenu le fait qu'aucune mise en garde relative à l'inhalation n'apparaissait sur la boîte du produit. 


On ne pouvait donc reprocher à l'agriculteur d'avoir ignoré le danger présenté par inhalation du lasso ou même d'avoir spontanément pris des mesures de protection à d'autres occasions alors qu'il en a pas pris le jour de l'accident.


Au-delà de ce devoir d'information, la jurisprudence a dégagé une véritable obligation de loyauté environnementale.


La société Monsanto  a ainsi été également condamnée pour pratiques commerciales trompeuses dans l'affaire de l'herbicide de Roundup puisqu'elle présentait son produit comme biodégradable donc "bio-compatible". Elle a - de ce fait - dissimulé  le danger potentiel du produit par l'utilisation de mots rassurants induisant ainsi le consommateur en erreur.


Cette jurisprudence, introduit une obligation d’information renforcée pour les produits phytosanitaires ainsi que les herbicides, dans la mesure où ces produits sont dangereux à la fois pour leur environnement et pour la santé humaine.


II - UNE JUSTICE ENCORE HESITANTE : LE REJET DE L’ACTION INDIRECTE EN INDEMNISATION AUPRÈS DU CIVI


Dans une autre affaire tout aussi emblématique, un agriculteur Lorrain avait obtenu la reconnaissance de la qualification de maladie professionnelle auprès du TASS d’Epinal en 2006 à la suite d’une longue exposition à des produits phytosanitaires qui avaient provoqué un cancer du sang.


La commission d’indemnisation des victimes d’infraction (CIVI) d’Epinal a condamné l’Etat français à l’indemniser en faisant le lien entre l’usage du produit et la pathologie et renvoyé à une expertise le soin de de définir le montant du dédommagement. 


La particularité  de cette affaire résidait dans le fait qu’aucune plainte directe n’avait été déposée contre les fabricants et que l’Etat se retrouvait donc en première ligne, à charge pour lui d’exercer une action récursoire contre les auteurs des infractions. En effet la décision fait également état de fautes commises par les fabricants…


Ce jugement a été confirmé par la cour d’appel de Nancy le 21 mars 2013 et l’on pouvait alors envisager la naissance d’une "jurisprudence" en faveur des agriculteurs plaignants. Toutefois c’était sans compter le pourvoi en cassation de l’Etat, et l’arrêt de la haute Cour qui a annulé la condamnation prononcée par la Cour d’appel le 11 décembre 2014. L’affaire ayant été renvoyée devant la Cour d’appel de Metz, celle-ci  a débouté l’agriculteur de sa demande en avril 2016.


Il est intéressant de relever que la Cour de cassation ne conteste pas l’aspect procédural, à savoir le principe même de la saisine de la CIVI : 


"les dispositions propres à l’indemnisation des victimes d’infractions sont applicables aux exploitants agricoles victimes d'une maladie professionnelle lorsque les faits invoqués revêtent le caractère matériel d'une infraction imputable à un tiers au sens de l'article L. 752-23 du code rural et de la pêche maritime ; que les dispositions de l'article 706-3 du code de procédure pénale ne distinguent pas suivant que ces faits concernent ou non un risque sanitaire; Et attendu qu'ayant constaté que les infractions invoquées par M. X... étaient imputables aux producteurs des produits phytopharmaceutiques litigieux, la cour d'appel en a exactement déduit que l'intéressé était éligible au dispositif d'indemnisation des victimes d'infractions "


En revanche se saisit ell-même d’un moyen d’ordre public en application de l’article 1015 du code de procédure civile et rappelle qu’une loi nouvelle plus douce s’applique aux personnes ayant commis une infraction lorsqu’elle a été promulguée avant qu’un jugement de condamnation ait été rendu.


Qu’en l’occurence, 


"Les dispositions d’une loi nouvelle s'appliquent aux infractions commises avant leur entrée en vigueur et n'ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée lorsqu'elles sont moins sévères que les dispositions anciennes ; qu'il résulte des deux suivants que l'incrimination du défaut d'étiquetage des produits phytopharmaceutiques, anciennement prévue à l'article 11 de la loi du 2 novembre 1943 a été supprimée ; … que pour déclarer recevable la requête de M. X…, l’arrêt énonce par motifs propres et adoptés que la règle selon laquelle la loi pénale plus douce est d’application immédiate ne joue pas devant la CIVI ; et que la mise en vente, tant avant qu'après 1999, des produits phytopharmaceutiques incriminés est constitutive de l'infraction visée à l'article 11 de la loi du 2 novembre 1943, Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés "


C’est donc l’application de la loi nouvelle dans le temps (plus douce) qui a été la cause de l’échec du recours de l’agriculteur et du renvoi de cette affaire devant la Cour d’appel de Metz… et non une position de principe de la cour de cassation sur la responsabilité des fabricants concernant le savais étiquetage des produits phytosanitaires.


A suivre…












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